De plus en plus de travaux mettent en évidence que l’exposition aux perturbateurs endocriniens (PE) entraîne un continuum pathologique allant de la prématurité aux maladies infantiles. Tel a été le thème d’un colloque au Sénat à l’occasion de la journée de la prématurité en novembre à l’initiative du Réseau Environnement Santé (RES).
Nombreux sont les pédiatres qui observent en consultation une augmentation des maladies infantiles comme l'asthme, l'obésité, la puberté précoce, le diabète et les troubles du neurodéveloppement. Si les origines sont multifactorielles, les PE figurent parmi les facteurs de risque bien documentés. Récemment, le lien entre prématurité et phtalates, une famille de PE très répandue, en particulier dans les produits cosmétiques et les emballages plastiques, a été établi.
Dans un avis de 2019 intitulé « La Santé de l’enfant, un enjeu négligé », le Haut Conseil de santé publique (HCSP) et le Haut Conseil de l’enfance, de la famille et de l’âge (HCEFA) avaient utilisé « le terme d’épidémie silencieuse pour décrire les effets des PE et toxiques d’origine industrielle sur l’organisme des enfants, y compris sur leur cerveau en plein développement », rappelle la Pr Francelyne Marano, ancienne présidente de la commission spécialisée sur les risques environnementaux au HCSP.
Phtalates et prématurité
La parution en 2022, dans le JAMA Pediatrics (1), d’une synthèse de 16 études américaines réalisées dans le cadre du programme fédéral Nhanes (totalisant 6 045 femmes enceintes, entre 1983 et 2018), montre une association entre prématurité et 11 métabolites urinaires de phtalates pendant la grossesse. Les auteurs évaluent qu’une réduction de 30 % de l’exposition aux phtalates diminuerait de 6 % le nombre de naissances prématurées, une réduction de 50 % le double (-12 %) et une de 90 % près d’un tiers (-32 %).
Une épidémie silencieuse chez les enfants
La professeure émérite de biologie cellulaire et toxicologie à l’Université de Paris attire alors l’attention d’André Cicolella, président du RES, qui applique ces correspondances chiffrées à la France. « Avec environ 55 000 cas de prématurés par an, réduire de 30 % l’exposition aux phtalates éviterait 3 300 cas. De la même façon, une diminution de 50 % épargnerait 6 600 naissances prématurées, et une baisse de 90 % laisse espérer 17 600 en moins, explique le toxicologue chercheur à l’origine de la charte des villes et territoires sans PE, de l’opération zéro phtalates et de la Stratégie nationale PE. Or il est assez facile de se débarrasser des phtalates dans la mesure où ces molécules sont éliminées de l’organisme en 24 heures et que les principales sources sont identifiées, à savoir cosmétiques, plastiques, alimentation ultratransformée ».
Une étude européenne, « Génération R », met également en lumière le lien entre phtalates et prématurité. « L’analyse des données de 2020 révèle que le taux de phtalates pendant la grossesse est lié aux risques de retard de croissance in utero (RCIU) et de prématurité », pointe la Dr Monique Jesuran-Perelroizen, membre de l’Association française de pédiatrie ambulatoire (Afpa) et présidente honoraire de l’Association française des pédiatres endocrinologues libéraux (Afpel).
En France, le niveau d’imprégnation en perturbateurs endocriniens est plus élevé chez les enfants de 6 à 17 ans
Imprégnation fœtale
Quid de l’exposition aux PE en France ? « Elle est généralisée et surtout le niveau d’imprégnation est plus élevé chez les enfants de 6 à 17 ans », rapporte la Pr Francelyne Marano d’après les résultats de l’étude Esteban. Cette enquête nationale a surveillé l’exposition de 1 104 enfants de 6 à 18 ans et de 2 500 adultes, entre 2014 et 2016, à six familles de polluants (bisphénol A, S et F, phtalates, perfluorés, retardateur de flamme bromés, éther de glycol, parabènes) dans les objets du quotidien.
Or, avant la 18e-20e semaine de gestation, le développement de l’embryon repose sur les taux maternels en iode et en hormone thyroïdienne qui influencent notoirement les stades précoces du neurodéveloppement (migration, prolifération et maturation neuronale, synaptogenèse). « Il s’agit d’une fenêtre de susceptibilité aux variations, même très fines, de l’hormonémie thyroïdienne et aux PE », expose la Dr Fabienne Cahn-Sellem (spécialiste des troubles des apprentissages, Afpa), citant l’article paru dans Science, cosignés par 37 scientifiques européens. Ce travail (2) montre la corrélation entre l’exposition de l’enfant in utero à un cocktail de PE et un retard de langage à deux ans.
Chez les femmes enceintes en particulier, les chercheurs ont analysé le liquide amniotique. « Déjà, en 2011, on y trouvait des phtalates, des pesticides organochlorés, des composés phénoliques (bisphénol A, tricloasan), des hydrocarbures polyaromatiques, des perfluorés (PFOS et PFOA), des composés halogénés (PCB) et des métaux lourds (mercure, plomb) », s’exclame la Pr Anne Barlier, présidente de la Société française d’endocrinologie (SFE).
Les effets du passage transplacentaire des PE ont été listés en 2022 dans une revue de plusieurs articles (chez l’homme et l’animal). Les altérations placentaires liées aux phtalates touchent à la morphologie, la production hormonale, la vascularisation, l’histopathologie, l’expression des gènes et des protéines.
L’imprégnation fœtale en perturbateurs endocriniens crée un environnement favorable pour le développement de pathologies, des années plus tard
Pr Anne Barlier, endocrinologue
L’ensemble de ces phénomènes contribuent à l’imprégnation fœtale en PE durant la grossesse modifiant la programmation fœtale, par des mécanismes épigénétiques. « Certes, il n’y aura pas de traduction immédiate mais cela crée l’environnement favorable pour le développement, des années plus tard, de pathologies dont la liste s’allonge. Citons en endocrinologie : cancers du sein hormonodépendants, hypofertilité, hypospadias, cancer des testicules, cancer de la prostate, puberté précoce, endométriose, goitre, fausse résistance aux hormones thyroïdiennes, diabète, obésité », précise la Pr Barlier.
Agir à toutes les échelles
La priorité de la SFE est de pousser les instances à réévaluer les substances reconnues comme PE. En Europe, 28 pays se sont engagés pour une durée de sept ans (2021-2027) à un partenariat de biosurveillance Parc (Partnership for the Assessment of Risks from Chemicals).
À l’échelle nationale, Santé publique France a fait évoluer le site « les 1 000 premiers jours » concernant l’exposition aux PE. Le HCSP a ajouté un chapitre environnement au carnet de santé et la Stratégie nationale de santé (2023-2033) comportera un volet « santé de l’enfant ». La troisième Stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens milite pour une politique nationale pour protéger la période de la conception.
Pour soutenir la recherche, la SFE lance en 2024 une grande opération de mécénat par son fonds de dotation : le Fonds de dotation pour la recherche et l’innovation en endocrinologie et maladies métaboliques (Friemm). Les endocrinopédiatres en libéral (Afpel) construisent le premier observatoire des stades pubertaires (Prospel) et lancent les études Pappel (pubertés avancées et pubertés précoces) et Pénélope (apparition des seins avant l’âge de 8 ans). L’impact de l’environnement professionnel (petites entreprises, ateliers) de la femme en âge de procréer est à l’étude au centre Artémis (Bordeaux), une idée qui essaime dans d’autres CHU.
(1) Welch B. M. et al. JAMA Pediatr. 2022 Sep 1;176(9):895-905.
(2) Caporale N. et al. Science. 2022 Feb 18;375(6582).
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