En juin, l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) a publié un rapport à charge sur le dépistage organisé du cancer du sein. Quelles étaient les principales critiques ?
Dr Luc Ceugnart : Le rapport confirme la baisse de la participation au dépistage organisé (DO) du cancer du sein, amorcée avant le Covid-19 et qui ne s’améliore pas. Le taux de participation est désormais de 42,8 %, sous l’objectif européen de 70 %.
En réalité, selon les estimations de la Caisse nationale d’Assurance maladie, 10 à 15 % des femmes qui ne participent pas au DO recourraient à un dépistage individuel. Dans certaines régions marquées par une forte présence du secteur 2, comme l’Île-de-France ou la région Paca, ce chiffre pourrait atteindre 30 à 40 %. Mais ces estimations restent incertaines – de même que les performances du dépistage individuel, qui ne bénéficie pas d’une deuxième lecture, contrairement au programme organisé.
Par ailleurs, l’accès au dépistage se révèle hétérogène sur tout le territoire. Par exemple, dans la Somme et l’Aisne, les délais nécessaires à l’obtention d’un rendez-vous de mammographie sont allongés par un manque de machines et de radiologues.
S’ajoute une seconde lecture lente : il faut souvent patienter un mois à six semaines pour obtenir les résultats – contre un délai recommandé de 14 jours. En cause, une absence de dématérialisation des documents et clichés. Car, bien que la mammographie soit numérique, la seconde lecture se fait toujours sur film imprimé et non sur console. Ce qui implique des lourdeurs et apparaît de moins en moins acceptable dans la mesure où la totalité des radiologues travaillent sur console.
Autre critique organisationnelle : le dépistage dépend de trop d’agences nationales et régionales, sans véritable pilote dans l’avion, ni communication entre ces instances et les professionnels de terrain.
En fait, le rapport montre que le dépistage organisé doit évoluer.
Cela remet-il en cause la qualité du dépistage organisé ?
Dr L. C. : Non, le dépistage organisé est de bonne qualité... pour les femmes qui viennent. Et si ce dépistage fait l’objet de polémiques récurrentes, en particulier en octobre, les registres montrent sa supériorité sur le diagnostic spontané. Certes, en termes de survie totale, les résultats peuvent toujours être discutés. Cependant, le DO permet de détecter des cancers moins avancés, qui nécessitent des traitements moins lourds (moins de curages axillaires, moins de mastectomies totales, etc.).
Par ailleurs, le recueil des données de suivi des patientes permet de surveiller les performances du DO. Autres garanties : l’obligation de contrôle des machines et la double lecture – qui permet de récupérer 2 000 diagnostics tous les deux ans.
Selon vous, comment peut-on améliorer les choses ?
Dr L. C. : L’Igas formule une vingtaine de préconisations. Afin d’augmenter la participation, il est en particulier recommandé d’« aller vers » les populations précaires. En la matière, nombre d’expérimentations ont été conduites par divers acteurs, mais aucun retour coordonné de ces expériences n’a été organisé.
Le rapport plaide aussi pour la dématérialisation de la seconde lecture, qui permettrait une accélération du process, une amélioration du stockage des données, et des conditions d’analyse identiques pour la première et la seconde lecture. Des expérimentations de dématérialisation ont été menées mais n’ont conduit à aucune généralisation. À noter qu’il y a quelques jours, un appel à projets de l’Institut national du cancer a été publié pour permettre à chaque centre de dépistage de dématérialiser de son propre chef, sans harmonisation, au risque d’accroître encore les inégalités territoriales.
D’autres évolutions technologiques ou techniques doivent-elles être apportées ?
Dr L. C. : La priorité est la généralisation de la dématérialisation. Pourra ensuite être envisagée l’utilisation de solutions d’aide au diagnostic fondées sur l’intelligence artificielle (IA) pour accélérer l’analyse des données. Alors que sur 1 000 mammographies, seules sept se révèlent pathologiques, l’idée est d’automatiser la lecture des clichés et de pouvoir sélectionner les dossiers normaux afin de diminuer le volume d’examens en deuxième lecture. Cependant, il s’agit encore d’un work in progress. Si l’IA améliore les performances du radiologue, elle ne peut pas à l’heure actuelle le remplacer, notamment en deuxième lecture. D’autant qu’un problème de responsabilité se pose.
Sur le plan des nouvelles techniques d’imagerie, la tomosynthèse est envisagée. Cette évolution de la mammographie permet d’obtenir des « coupes » millimétriques du sein permettant une meilleure analyse et une amélioration du taux de détection des cancers, mais au prix d’une augmentation de l’exposition aux rayons X. En outre, pour les seins denses, la tomosynthèse ne fait pas mieux que l’échographie, qui resterait nécessaire pour 20 % des femmes. Un rapport de la Haute Autorité de santé est attendu de longue date. La France n’est toutefois pas la dernière de la classe : aucun pays n’a encore recommandé la tomosynthèse en dépistage organisé.
D’autres techniques de dépistage non radiologiques pourraient émerger dans un futur plus lointain. Un dosage biologique serait le Graal, même si aucun n’est au point. L’objectif est aussi de personnaliser le dépistage en fonction du risque. À ce titre, l’étude MyPeBS (My Personal Breast Screening), lancée il y a trois ans dans cinq pays d’Europe, se penche sur le recours à un test salivaire pour repérer les femmes à faible risque, chez qui les mammographies pourraient être espacées.
Faut-il revoir les limites d’âge du dépistage ?
Dr L. C. : Le taux d’incidence du cancer du sein augmente régulièrement d’1 % dans toutes les classes d’âge, et un peu plus vers 50 ans.
Ainsi, avant 40 ans, le dépistage n’est pas recommandé sauf en cas d’antécédents notamment familiaux importants. La consultation à 25 ans, qui vient d’être annoncée, pourrait d’ailleurs s’avérer intéressante pour estimer le risque. Entre 40 et 50 ans, le dépistage est envisageable mais il s’agit d’une décision individuelle. Après 74 ans, le risque de cancer du sein continue d’augmenter. Si la décision de limiter le dépistage organisé à cet âge a été prise face à l’espérance de vie réduite à moins de 10 ans de certaines femmes, il faut poursuivre le dépistage individuellement tous les deux ans, jusqu’à 80-85 ans. D’autant qu’aujourd’hui, nombre de femmes âgées sont capables de supporter des chimiothérapies, immunothérapies et autres traitements, avec le même bénéfice que chez les femmes plus jeunes.
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