Treize ans après un premier rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) sur le chlordécone, la sénatrice Catherine Procaccia (LR) a présenté ce 3 mars au Sénat un nouveau bilan de l’Office sur l’évolution des connaissances scientifiques, assorti de 24 recommandations.
Les progrès de la recherche sont « réels », a-t-elle relevé, mais restent « trop lents au regard des attentes de la population » des Antilles, exposée jusqu’en 1993 à ce pesticide utilisé dans les bananeraies pour lutter contre l’invasion du charançon.
Des conséquences sanitaires encore à éclaircir
Sur les conséquences sanitaires de l’exposition de la population, « les connaissances s’améliorent », salue la rapportrice, rappelant que les chercheurs ont d’abord investi le sujet sans financement. L’étude Kannari (2013–2014) a permis de détecter le chlordécone chez plus de 90 % des adultes antillais. Sur la base des prélèvements réalisés, il est estimé que 14 % des adultes guadeloupéens et 25 % des adultes martiniquais dépassent la valeur toxicologique de référence interne définie par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses ; 0,4 μg/L). Mais ces données « datent de 10 ans », souligne Catherine Procaccia, appelant à leur mise à jour.
Pour l’heure, chaque Antillais a la possibilité, depuis 2020, de faire doser sa concentration sanguine en chlordécone. Cette chlordéconémie doit permettre de suivre l’imprégnation de la population et de mener des actions de prévention, avec des conseils personnalisés. Pour autant, une chlordéconémie élevée n’a pas valeur de diagnostic : « Ça ne veut pas dire qu’on est malade », insiste la sénatrice.
Ce rappel se veut rassurant, car, depuis 2009, un lien de présomption forte entre l'exposition au chlordécone et la survenue de cancers de la prostate est établi, permettant la reconnaissance de ce cancer comme une maladie professionnelle chez les agriculteurs exposés.
Mais, ce « focus » sur le cancer de la prostate a occulté les risques potentiels d’autres cancers, regrette Catherine Procaccia. Ce manque commence seulement à être comblé, de même pour les études sur la fertilité féminine et les éventuels effets hépatiques. « Les études sur les femmes ne débutent que maintenant », déplore également la rapportrice.
L’étude de cohorte mère-enfant Timoun a par ailleurs mis en évidence une association entre l'exposition au chlordécone et un risque accru de prématurité et des conséquences sur le développement staturo-pondéral et le neurodéveloppement. Ces travaux sont à poursuivre, est-il préconisé, comme c’est déjà le cas avec une étude sur les impacts à l’âge péripubertaire.
Des pistes prometteuses pour la décontamination
Sur la contamination des sols, contrairement aux connaissances disponibles en 2009 lors du précédent rapport de l’Opecst, les recherches ont établi que la dégradation naturelle du chlordécone est plus rapide que les 350 à 700 ans initialement anticipés, il pourrait être indétectable d'ici à la fin du siècle.
Mais s'il disparaît des sols, le chlordécone est transféré dans les eaux de source et les rivières, domaine dans lequel les connaissances manquent. Une approche globale, reprenant les principes du « One health » devrait permettre d’envisager cette problématique, est-il préconisé.
Des recherches « prometteuses » sur la décontamination des sols sont à poursuivre. Plusieurs souches de bactéries pourraient accélérer la dégradation du chlordécone. Des réducteurs chimiques, comme le fer zéro valent, pourraient également être efficaces, de même que la séquestration de la molécule par compost afin de réduire son transfert vers les plantes.
Ces pistes doivent désormais faire l’objet de tests en condition réelle pour « ne pas susciter de faux espoirs » au sein de la population, préconise Catherine Procaccia. Elle insiste également sur la nécessité de s’intéresser aux composés issus de la dégradation du chlordécone.
En parallèle de ces solutions techniques, des conseils pratiques sont à appliquer pour éviter la contamination de la population. Ils sont notamment diffusés via le programme JaFa, qui offre aux propriétaires de jardins familiaux la possibilité d’une analyse gratuite de leur sol et des conseils agricoles et nutritionnels permettant de limiter leur exposition : éviter les légumes racines, laver « minutieusement » et éplucher « généreusement » les légumes. Pour l’eau de consommation, les filtres à charbon actif « sont performants » pour la décontamination, assure la sénatrice.
En matière d’élevage, les animaux peuvent être décontaminés avant l’abattage et la consommation. Mais pour les produits de la pêche, « la seule solution, c’est l’interdiction dans les zones polluées », souligne Catherine Procaccia. En matière de sécurisation de l’eau et l’alimentation, « l’axe de progrès » repose sur la mise en place de contrôles des circuits informels (auto-production, vente en bord de route, etc.), qui sont pour l’heure « inexistants », regrette la sénatrice.
Des défaillances qui ont alimenté la défiance
Concernant l’action de l’État, le rapport est sévère. « La liste des erreurs est plus longue que celle des actions efficaces », tacle Catherine Procaccia. Les trois premiers plans consacrés au chlordécone ont souffert de « nombreux écueils », relève-t-elle : aspects environnementaux et économiques négligés, gouvernance « trop centralisée », communication « inefficace », sous-financement de la recherche. Ces défaillances ont alimenté « la colère et la défiance » de la population, entraînant une « difficile adhésion aux recommandations alimentaires » des autorités, reconnaît la sénatrice.
Le quatrième plan Chlordécone 2021-2027 suscite une forme d’espoir chez la rapportrice. La nouveauté, souligne-t-elle, c’est l’implication de représentants de la société civile. Autres sources de satisfaction : un budget en hausse d’environ 20 %, dont un tiers sera consacré à la recherche, un pilotage associant l’ensemble des parties prenantes et un effort de transparence, avec la publication d’un bilan annuel.
Pour compléter ces avancées, le rapport émet 24 recommandations selon quatre axes : la recherche, la communication, la chlordéconémie et le suivi du plan. Sur la recherche, l’effort est à poursuivre avec une approche globale « One health » et une attention aux dérivés de la dégradation du chlordécone et aux effets cocktails dans une perspective de prise en compte de l’exposome. L’enjeu est aussi de s’appuyer sur les sciences humaines et sociales, principalement pour renouer la confiance avec la population.
Un dossier précurseur des futures crises
Dans cette optique d’un retour de la confiance, la communication doit être repensée en tenant compte des réalités socioculturelles propres aux Antilles et en s’appuyant sur « des médiateurs de confiance », insiste Catherine Procaccia. Les recommandations alimentaires sont à mettre à jour régulièrement, « notamment concernant la consommation d’œufs et de volailles », des produits encore peu, voire pas évoqués dans les recommandations et pour lesquels l’information « doit passer plus facilement », juge-t-elle.
Sur la chlordéconémie, le rapport appelle notamment à faire converger les dispositifs mis en place en Guadeloupe et en Martinique, « dans un souci d’efficacité et de lisibilité ». Enfin, le quatrième plan devrait faire l’objet d’une évaluation externe à mi-parcours pour permettre les ajustements nécessaires.
L’enjeu de ces recommandations s’inscrit dans un cadre plus large que le seul chlordécone qui apparaît comme « précurseur des futures pollutions que nous allons découvrir au XXIe siècle, qu’il s’agisse de pesticides ou d’autres substances », est-il souligné. « Pour mieux gérer les crises futures, où qu’elles se produisent, l’État doit tirer tous les enseignements des lenteurs, erreurs et faiblesses », conclut le rapport.
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