Mutilations sexuelles

Contre l’excision, les Orchidées rouges ouvrent un institut à Lyon

Publié le 27/10/2023
Pour accompagner les femmes ayant subi mutilations sexuelles et mariage forcé, l’association Les Orchidées rouges a ouvert, au cœur de Lyon, un nouvel institut médico-psychosocial. Après l’Île-de-France, l’Auvergne-Rhône-Alpes est la deuxième région française concentrant le plus de femmes excisées.
L'équipe se réunit pour faire le point sur les parcours de soins

L'équipe se réunit pour faire le point sur les parcours de soins
Crédit photo : AIMEE LE GOFF

Au rez-de-chaussée d’un immeuble de la presqu’île lyonnaise, les locaux des Orchidées rouges centralisent, dans une atmosphère feutrée et chaleureuse, de multiples rendez-vous. L’association y a ouvert début 2023 son troisième institut médico-psychosocial, après Bordeaux (en France, la Nouvelle-Aquitaine est la troisième région concernée, après l’Auvergne-Rhône-Alpes et l’Île-de-France) et Abidjan, afin d’accompagner les femmes victimes de mutilations sexuelles et de mariage forcé. On compte aujourd’hui 125 000 femmes adultes excisées résidant sur le territoire français.

Cabinet spacieux, mobilier confortable, pièces lumineuses… L’espace aménagé ici offre un cadre serein, pensé pour respecter l’intimité et la parole. « Nous proposons un parcours entièrement gratuit pour viser une émancipation sur tous les plans, à la fois psychologique et médical, mais aussi économique et social », expose Marie-Claire Kakpotia, la fondatrice. À Lyon, une vingtaine d’intervenantes, dont une médecin généraliste, une sage-femme, une sexologue et une psychologue, se réunissent pour imaginer, selon le profil des patientes, un parcours de soins personnalisé et pluridisciplinaire, incluant suivi médical et sexologique, assistance juridique et sociale, groupes de parole, ostéopathie et art-thérapie.

En cinq mois d’ouverture, 126 femmes ont été reçues, l’objectif étant d’accueillir 200 femmes d’ici à la fin 2023 et 250 sur une année complète. L’institut lyonnais, ouvert grâce à des fonds privés, a reçu le soutien financier de l’ARS d’Auvergne-Rhône-Alpes. Le centre de Bordeaux, inauguré en 2020, a quant à lui été financé en grande partie par les pouvoirs publics. 

Lutter contre la chirurgie isolée

Excisée à 9 ans, Marie-Claire Kakpotia a eu l’idée de créer les Orchidées rouges pour proposer, dans les régions les plus touchées, une prise en charge qui ne passe pas systématiquement par la chirurgie reconstructrice. « Je suis contre la chirurgie systématique, qui, dans certains cas, fait des dégâts, estime-t-elle. La douleur post-opératoire réveille parfois le traumatisme de la mutilation, d’où la nécessité d’un accompagnement approfondi en amont. La chirurgie seule ne peut rien non plus contre l’insécurité et le manque d’estime de soi. »

Seule une minorité des femmes reçues demanderaient à se faire opérer en fin de parcours. Dans ce cas, l’institut, en lien avec l’hôpital Lyon-Sud, collabore avec des chirurgiens référents et assure l’accompagnement avant et après l’opération. « Avant de les mettre en contact, nous nous assurons d’avoir la validation de notre psychologue et de notre sexologue », précise-t-elle.

La chirurgie sera en revanche presque toujours nécessaire pour les femmes ayant subi une infibulation, type de mutilation consistant à suturer les lèvres externes ou internes, et à rétrécir l’orifice vaginal. L’accompagnement psychologique, là encore, reste indispensable. « Certaines douleurs sont aussi dues à des biais psychologiques, majorées par un syndrome anxiodépressif », indique la Dr Carole Chaban, médecin officiant à l’institut de Bordeaux. Formée au suivi gynécologique, la généraliste a intégré le centre dès son ouverture.

Dans les deux établissements, la plupart des femmes reçues sont inscrites dans un parcours migratoire. Diverses problématiques de santé, en plus des troubles psychiques, sont à prendre en compte. « On diagnostique surtout des troubles du sommeil, un syndrome anxiodépressif et un état de stress post-traumatique », précise la Dr Chaban. Maux de tête, douleurs articulaires et maladies hépatiques sont aussi dépistés. « Il y a l’arthrose et les positions impossibles à tenir en raison du travail forcé, mais aussi des douleurs chroniques liées à des fractures mal consolidées, traces de sévices physiques subis durant le mariage ou le parcours migratoire », ajoute-t-elle.

Des médecins et gynécologues à former

Sur le sujet des mutilations, la Dr Carole Chaban regrette le manque de sensibilisation et de formation des professionnels de santé. « Avant de connaître l’association, je n’avais jamais abordé ce sujet durant mes études, se souvient-elle. Beaucoup de médecins doivent se sentir en difficulté ou mal à l’aise face à des patientes excisées, à cause du manque de connaissances. Certaines ne savent même pas qu’elles le sont, parce que c’est la norme dans leur pays. »

Pour pallier ce manque, l’association dispense des formations et actions de prévention auprès de médecins en exercice, ainsi que dans les facultés de médecine, écoles d’infirmiers et de sages-femmes. Pour Marie-Claire Kakpotia, la formation des gynécologues est primordiale. « Des femmes me racontent encore des échanges traumatisants, insiste-t-elle. La parole est pourtant le début de la reconstruction. Beaucoup de femmes n’attendent qu’une chose : que les médecins leur parlent. »

Aimée Le Goff

Source : Le Quotidien du médecin