Négociations conventionnelles sur les CPTS

Exercice coordonné généralisé : premières frictions

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Publié le 21/01/2019
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Un « tour de chauffe » avant le plat de résistance ? Les 54 représentants de 15 professions de santé (médecins, pharmaciens, biologistes, infirmiers, centres de santé, transporteurs…) ont retrouvé, la semaine dernière, le directeur de l'assurance-maladie pour négocier d'ici à fin mars un accord conventionnel interprofessionnel (ACI) sur le financement des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS).

Car si les CPTS ont été créées par la loi Touraine, ces collectifs de professionnels libéraux sur un bassin de vie ont besoin d’un cadre de fonctionnement clair et d'un financement pérenne pour se déployer à grande échelle. Le gouvernement espère « au moins » un millier de CPTS en 2022 – contre à peine 200 en 2018.

Deux niveaux de coordination

D'emblée, le directeur général de la CNAM Nicolas Revel a proposé aux partenaires de s'entendre sur la notion d'« exercice coordonné », cadre de référence que l'exécutif veut généraliser mais que rien ne définit juridiquement.

Celui-ci devrait revêtir deux dimensions : une « coordination de proximité » directe (à valoriser) assurée par les équipes de soins primaires (ESP), les maisons de santé (MSP) et les centres de santé ; et une coordination « à l’échelle territoriale » assurée par les fameuses CPTS, dans le cadre d'une responsabilité populationnelle (entre 20 000 et 100 000 habitants), au-delà de la patientèle habituelle. « La coordination de proximité est une maille soignante à géométrie variable. Il semble qu'il y ait bien deux niveaux de coordination et deux niveaux de financement », décrypte le patron de la CNAM.

Cette position a fait tiquer le président de la CSMF, qui craint une mise à l'écart des spécialistes dans la coordination de proximité. « La coordination est transversale, on ne doit pas rentrer dans les cloisonnements », prévient le Dr Jean-Paul Ortiz.

Missions socles et complémentaires

Gage de pragmatisme, la CNAM assure privilégier la souplesse dans la constitution des CPTS. « Aucune forme juridique » ne sera imposée. Mais le statut devra répondre à plusieurs impératifs : garantir la pluriprofessionnalité, accueillir des financements et les redistribuer, pouvoir investir, etc. Selon Nicolas Revel, la société interprofessionnelle de soins ambulatoires (SISA), modèle utilisé par les maisons de santé, est un cadre « lourd ». « Il faut aller vers autre chose », dit-il.

A ce stade, trois missions socles, obligatoires, ont été identifiées : l’accès au médecin traitant (12 % des patients de plus de 16 ans en sont dépourvus), l’accès aux soins non programmés (nouvelles plages horaires, télémédecine) et l'organisation d’au moins un parcours renforçant le lien ville/hôpital/médico-social (handicap, sorties d'hospitalisation, etc.). Les CPTS seraient chargées de recenser les patients sans médecin traitant, identifier les praticiens en mesure de prendre de nouveaux malades, anticiper les départs à la retraite. À côté de ces missions socles, la CNAM envisage des missions complémentaires favorisant la prévention, la qualité, l'efficience, la formation mais aussi les conditions de travail et l'attractivité dans les territoires. 

Point d'équilibre

Quel financement ? La CNAM propose que « la fonction de coordination soit rémunérée en tant que telle pour assurer la mise en œuvre du projet de santé ». Le montant serait modulé en fonction du nombre d'habitants couverts et de professionnels engagés. Ensuite, chaque mission assumée donnerait lieu à une rémunération spécifique dont « le montant pourra être pondéré (...) et bonifié au regard de l'atteinte d'objectifs ». C'est la CPTS qui bénéficiera de l'aide. « Il ne s’agit pas de rémunérer les professionnels de santé en tant que participants de la communauté », insiste Nicolas Revel.

Le patron de la CNAM a perçu le risque d'un excès de dirigisme. « On doit trouver un point d’équilibre entre ce que nous devons cadrer (missions et financements socles) et la souplesse pour pouvoir presque individualiser l’accompagnement y compris financier pour ces CPTS », cadre Nicolas Revel. 

Pas de bonus/malus

Tous les syndicats médicaux sont déjà en alerte. À leurs yeux, l'accord sur les CPTS devra proposer un cadre attractif, faute de quoi la réforme échouera. A cet égard, la lettre de cadrage d'Agnès Buzyn sur la « modulation » des rémunérations selon l'inscription dans un exercice coordonné (impliquant a minima la particpation à une CPTS) a fait l'effet d'une douche froide. 

« Il est hors de question de faire varier l'acte médical selon l'appartenance ou non à la CPTS », martèle le Dr Jean Paul Ortiz, président de la CSMF. Le Syndicat national des jeunes médecins généralistes (SNJMG) « s'opposera à tout principe de bonus/malus ». MG France exhorte la CNAM à éviter deux écueils : le fait d'imposer un cadre « rigide » et de « sous-estimer les contraintes » des libéraux. « Les médecins manquent de temps et ne sont pas formés pour monter des projets », dit-il. La FMF juge que la négo commence mal avec la menace de la loi en cas d’échec. « Est-ce que les CPTS vont faire pousser les médecins comme des champignons ? », ironise le Dr Jean-Paul Hamon, président de la FMF.

Le Syndicat des médecins libéraux (SML) réclame un intéressement individuel. « Il ne faut pas uniquement donner de l'argent pour les fonctions support et le système d'information. Il en faut aussi pour ceux qui travaillent », alerte le Dr Philippe Vermesch, président du SML. Surtout le syndicat, chantre des initiatives libérales, exhorte la CNAM à ne pas privilégier de modèle unique. « Pénaliser la rémunération des médecins en dehors des CPTS constituerait une dérive inacceptable ».

Loan Tranthimy

Source : Le Quotidien du médecin: 9717