La médecine scolaire au défi du repérage des violences : le numérique doit être une aide, non un frein

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Publié le 19/10/2023

Crédit photo : BURGER / PHANIE

« Je suis médecin scolaire sur un secteur qui couvre 40 000 élèves. Je travaille avec 10 psychologues et 50 infirmiers. Mais en l'absence de logiciels adaptés et communs au sein de l'Éducation nationale et même, au sein d'une seule école, difficile d'améliorer la coordination et les échanges d'information ! ». C'est ainsi que la Dr Mechtilde Dippe, co-secrétaire du Syndicat national des médecins scolaires et universitaires (SNMSU), illustre la nécessité d'outils numériques bien pensés pour améliorer le travail des professionnels de santé, en particulier le repérage des violences sur mineurs.

La médecin scolaire participait, avec une douzaine d'autres professionnels de santé, à une table ronde organisée le 18 octobre par la délégation aux droits des enfants de l'Assemblée nationale. « Tous les cinq jours un enfant meurt sous les coups portés par un membre de son entourage. (...) Les victimes de violences ne savent pas toujours à qui se confier ; l'école est un lieu déterminant », a expliqué la présidente de la délégation Perrine Goulet (Renaissance), pour justifier son choix d'entendre les soignants qui côtoient au quotidien les enfants, pour commencer le cycle d'auditions sur la protection des mineurs.

De multiples obstacles au repérage

Face aux députés, l'ensemble des professionnels a dénoncé le manque de moyens humains, dans les écoles d'abord. « Au cœur de nos priorités figure la protection de l'enfance, sur le plan individuel (repérage des maltraitances) et collectif (prévention). Mais nous ne sommes que 700 avec des missions pléthoriques, dont certaines très institutionnelles, qui nous détournent de ce sujet », déplore la Dr Jocelyne Grousset, co-secrétaire du SNMSU. De plus, les occasions de rencontrer les enfants et adolescents ont été réduites, avec la suppression des bilans réguliers. Ne reste qu'un dépistage infirmier (axé sur les conditions de vie) pour les élèves de 12 ans. Or, il est rare qu'un enfant se confie à un professionnel lors de la première rencontre.

Mais l'aval pêche aussi. « Une fois les enfants repérés, on peine à trouver des lieux d'adressage tant les services publics sont en faillite. Il faut attendre longtemps pour qu'une information préoccupante soit prise en compte. Comment alors maintenir le lien de confiance avec l'enfant, la famille ? », s'inquiète Laurent Chazelas, psychologue, président de l'Association française des psychologues de l'éducation nationale (AFPEN). « Les délais pour mettre en place des aides éducatives s'étendent de 18 à 24 mois. Impossible. Alors les enfants sont placés », décrit la Dr Dippe, pour expliquer la hausse des placements ces derniers mois. Sans compter le contexte général : « Depuis les confinements, les situations familiales et sociales sont de plus en plus fragilisées et les violences augmentent », poursuit-elle. La Dr Florence Lapica de MG France confirme : « les familles que nous voyons dans nos cabinets sont de plus en plus en difficulté ».

Un secret bien partagé

Le secret médical pourrait-il faire obstacle au partage d'information ? A fortiori quand son périmètre diffère du secret professionnel des psychologues ou des infirmiers ? Les acteurs répondent par la négative et évincent toute posture idéologique qu'on voudrait leur faire endosser. « Nous n'avons pas de remontée de problèmes particuliers, rapporte la Dr Dippe. Le secret médical n'est pas un frein pour les signalements aux cellules de recueil des informations préoccupantes (CRIP) ou au parquet, ni un problème en interne, au sein des équipes. Nous le défendons car il est protecteur pour le patient, mais nous partageons les informations nécessaires à la compréhension d'une situation ».

« Le partage d'information doit se faire en bonne intelligence, avec le réseau et les acteurs qui connaissent les familles, pour les aider au mieux », ajoute la Dr Lapica. Sur le terrain, « nous ne pouvons pas travailler en silo, face aux enfants et adolescents ; mais les choix politiques cloisonnent souvent notre travail », regrette Sylvie Amici, présidente de l'Association des psychologues et de psychologie dans l’éducation nationale (Apsyen).

N'en demeure pas moins que plusieurs leviers existent pour améliorer les signalements et le partage d'information, à commencer par la possibilité pour les médecins de pouvoir recourir à un conseil, une personne-ressource, lorsqu'ils s'apprêtent à donner l'alerte, estime la Dr Evelyne Wannepain, médecin de PMI. « Il faudrait aussi qu'on ait connaissance des suites données au signalement » considère la Dr Lapica.

Les professionnels insistent sur l'importance d'outils numériques pertinents. « Le logiciel métier Esculape de l'Éducation nationale n'intègre aucune question sur les violences intrafamiliales ni sexuelles », observe la Dr Dippe.

L'enjeu est aussi d'assurer un meilleur suivi des enfants en croisant les regards des professionnels, sur le temps long. « Le carnet de santé numérique accessible à tous les professionnels de santé éviterait les pertes d'informations systématiques lorsque l'enfant change d'école », souligne la Dr Patricia Colson, secrétaire générale du Syndicat national des médecins de santé publique de l'Éducation nationale (SNAMSPEN).

« Il nous faudrait un logiciel de partage d'information avec des entrées spécifiques selon nos métiers », enchérit le psychologue Laurent Chazelas. Quant à la Dr Margot Bayard de MG France, elle mise sur les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) pour « être un lieu de connaissance et de confiance ente les acteurs ». Enfin, il y a unanimité pour demander davantage de formations au repérage des enfants victimes de maltraitances et de violences, et pour améliorer l'organisation des équipes sur le terrain.


Source : lequotidiendumedecin.fr