Entretien avec Olivier Le Pennetier, président de l'Isni et du SAIHM

"Le système ne peut plus tenir lorsque l'interne en vient à faire 80 heures par semaine."

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Publié le 19/01/2017
visuel Le Pennetier

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Crédit photo : DR

Décision Santé. Pourquoi le SAIHM a-t-il mis en demeure la direction de l'AP-HP pour non-respect des conditions de travail des internes ?

Olivier Le Pennetier. La direction de l'AP-HM qui s'était engagée à mettre en place les tableaux de service des horaires des internes en novembre 2016 n'a toujours pas déployé le logiciel. Depuis février 2015, il y a eu au niveau national un décret définissant le temps de travail des internes. Ce décret applicable au 1er mai 2015 définissait dix demi-journées par semaine, dont huit à l'hôpital ou en clinique où l'on soigne des patients, une où l'on se forme à l'université et une enfin en dehors de l'université notamment pour la thèse.

D. S. Qui gère ces tableaux de services ?

O. L.-P. Ils doivent être remplis par l'interne, validés par le chef de service et responsable du stage, le tout étant géré par la direction de l'établissement. En mai 2015, ce système n'est toujours pas installé. Nous demandons à la direction de le faire. Une sous-section de la CME organise des réunions régulières et développe un sous-logiciel qui est annexé à celui qui gère les gardes et astreintes de l'ensemble du personnel médical. Ce logiciel contient ces tableaux et fonctionne parfaitement, car je l'ai testé moi-même en octobre 2015.

D. S. Comment expliquez-vous ce statu quo ?

O. L.-P. La direction nous explique qu'il fallait d'abord faire le test. Elle a prétexté également qu'il lui fallait former les internes à remplir ces cases sous Excel. De plus, en février 2016, un de nos collègues internes s'est donné la mort suite à une surcharge de travail. Après son décès, nous avons mené une action forte pour que la direction respecte enfin le repos d'après garde. Ce qu'elle a fini par faire à partir du printemps 2016. En même temps, il y a eu un engagement de la direction à diffuser ce logiciel pour mettre en place ces tableaux de service pour novembre 2016. Or en novembre 2016, le logiciel n'est toujours pas opérationnel. La direction répond que cela est en train de se faire. Mi-décembre, nous la relançons. Mais rien n'est encore fait. Nous la prévenons alors que nous la mettrons en demeure auprès du tribunal administratif si le logiciel n'est pas installé mi-janvier.

D. S. Pourquoi la direction de l'hôpital tarde-t-elle tant à mettre en place ce logiciel ?
O. L.-P. Parce qu'un interne travaille beaucoup plus que 48 heures. D'après une étude réalisée au niveau national il y a un peu moins d'un an, il est présent en moyenne 60 heures. Et c'est vrai que si la direction de l'hôpital diffuse cet outil, le temps de travail des internes sera d'autant réduit, et il y aura des trous. De plus, en novembre 2016, Marisol Touraine a annoncé l'installation d'une grille de temps de travail additionnel, et donc la légalisation d'heures supplémentaires pour les internes. L'objectif est de lisser le temps de travail pour arriver aux soixante heures des internes. Les heures supplémentaires seraient alors rémunérées sur le même mode qu'une garde de nuit ou du dimanche. 

D. S. Pourquoi les internes sont-ils finalement prêts à travailler plus que 48 heures ?
O. L.-P. Car ils sont en formation et apprennent leur métier. Le problème est qu'il y a un glissement du temps de travail médical vers un temps de travail administratif. D'où l'augmentation du volume horaires pour compenser et acquérir des compétences.

D. S. Il s'agit donc de la reconnaissance des internes que vous revendiquez ?

O. L.-P. Oui, puisque nous ne disposons pas d'outil pour comptabiliser le temps passé à l'hôpital, il est fréquent que l'interne soit le médecin toujours présent, et corvéable à merci. Le système ne peut plus tenir lorsque l'interne en vient à faire 80 heures par semaine. Le paradoxe est que nous sommes dans une démarche de passer de 48 à 60 heures alors que la majeure partie de la population travaille 35 heures. Nous sommes un corps de profession qui a la volonté de prodiguer des soins de qualité et de se former en conséquence. Mais nous souhaitons obtenir un minimum de reconnaissance en compensation de notre sacrifice.

 

* Le SAIHM (Syndicat autonome des internes des hôpitaux de Marseille) regroupe tous les hôpitaux de Marseille qui s'étendent d'Avignon à Toulon et de Gap à Ajaccio, à savoir 1 700 internes.


Source : lequotidiendumedecin.fr