Le Conseil scientifique, instauré entre le 10 mars 2020 et le 31 juillet 2022 pour lutter contre la pandémie de Covid-19, a produit 62 avis et 27 notes. Ils sont rassemblés dans un livre somme : « Face à la pandémie »*. Entretien avec son président, le Pr Jean-François Delfraissy.
LE QUOTIDIEN : Publier ces avis « relève d'une question de démocratie et de redevabilité », écrivez-vous dans votre avant-propos. En quoi ?
Pr JEAN-FRANÇOIS DELFRAISSY : Depuis le début, le Conseil scientifique s'est efforcé d’être une instance scientifique indépendante vis-à-vis du politique, et d’éclairer les autorités et les citoyens en publiant des avis écrits, au fur et à mesure de l'évolution de la pandémie. Rassembler aujourd'hui ces 62 avis et 27 notes, certaines n'ayant jamais été publiées, permet de prendre la mesure du travail effectué et de constituer la mémoire d'une période extra-ordinaire (le monde confiné !). Cela permettra en particulier aux chercheurs et aux journalistes de revenir, à distance, sur ce qui s'est passé.
Cette somme est-elle une réponse au faux procès qu'on a pu faire au Conseil scientifique de prendre la place du pouvoir politique ?
Non, ce n’est pas l’objet, nous ne sommes pas dans la polémique. Il n'y a jamais eu de troisième pouvoir scientifique, il a toujours été clair que les décisions reviennent au pouvoir politique.
La pandémie est passée par trois phases : celle des confinements en 2020, puis la course entre variants et vaccins en 2021, et en 2022, l'arrivée d'Omicron. Au début, nous étions dans l'inconnu. C'est là que se situe toute la complexité de la relation entre science et politique : lorsque le sachant ne sait pas, et que l'expertise est incertaine pour éclairer les décisions du politique. L'ensemble des avis montre la construction de ce dialogue avec le politique dans un tel contexte.
Pourquoi avoir créé un Conseil ex nihilo, plutôt que de recourir aux agences existantes ?
C’est la question de départ, que j’ai moi-même posée au président de la République. Son souhait était de créer une structure indépendante, souple et réactive. Je me souviens des mots d'introduction d'Emmanuel Macron lors de notre première réunion le 12 mars 2020 lorsqu’on a conseillé le premier confinement : « Je souhaite m’appuyer sur la science. » Or, les directeurs d’agences sanitaires ou de recherche – et j’en ai été un (l'Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales, ANRS, NDLR) – ont peut-être moins d’indépendance qu’un groupe de scientifiques qui ne pense qu’à ça, qui ne fait que ça. Rappelons que nous avons fait 300 réunions en 2,5 ans ! Nous avons été un conseil d’aide à la gestion de crise en s’appuyant sur la science.
Avez-vous des regrets ?
Comment ne pas en avoir… Les premiers portent sur le déconfinement des Ehpad et des personnes âgées à l'automne 2020. Il était légitime de prendre des mesures strictes sur leur confinement au printemps 2020 : il y a eu 28 000 décès en Ehpad, on en aurait eu cinq fois plus sans cela. Mais six mois plus tard, malgré une meilleure compréhension des mécanismes de transmission du virus et la diffusion des masques et autres stratégies de prévention, certains Ehpad ont prolongé des mesures drastiques, ce qui a favorisé des syndromes de glissement. On a pu dire que la santé l'avait emporté sur l'humanité.
Autre source de regret : il aurait été préférable de gagner trois ou quatre jours sur le premier confinement. Mais c’était difficile de raccourcir les délais. Le Conseil scientifique avait été instauré le mardi 10 mars, il y a eu une réunion à l’Élysée le jeudi 12 mars, et le confinement a démarré le mardi 17 mars. Sans oublier que les Français n’avaient pas conscience de la gravité de la situation.
Dans la majorité des cas, les avis du Conseil scientifique ont été suivis. Qu'ils ne l'aient pas toujours été fait partie du jeu : le politique a aussi à tenir compte des dimensions sociétales et économiques. C'est ce qui s'est passé par exemple fin janvier 2021. Alors que la vaccination démarrait lentement, nous avions préconisé un troisième confinement en février. Les autorités ont préféré attendre, espérant l’éviter : il a finalement été décrété en avril 2021.
Vous vous êtes parfois ému des délais de publication de vos avis.
C’est l’un des points d’amélioration dans la relation entre science et politique. Il est logique que les autorités aient la primeur de nos avis pour affiner leur décision. D'autant que nous ne participions pas au Conseil de défense, pour garder l’indépendance de l’expertise. Malheureusement, certaines publications ont été trop tardives, sans que je puisse me l'expliquer : trop sensibles ? Oubli du ministère de la Santé ? Cela a pu laisser croire, à tort, qu'on cachait des choses. En réaction, nous avons recommandé que les avis du Covars (Comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires, NDLR) sortent dans des délais normalisés.
J'ai aussi regretté qu'un comité citoyen n'ait pas été constitué, comme nous l'avions demandé, afin d'introduire de la démocratie en santé. Point positif : de telles structures ont vu le jour dans les territoires.
Vous évoquez des contextes de tension entre les tenants d'une approche scientifique et des courants pseudo-scientifiques, et un climat médiatique parfois délétère. Avez-vous l’impression que le dialogue entre science et société s’est normalisé ?
D’après les enquêtes d’opinion, les Français continuent à faire confiance à la médecine et à la science. La dégradation n’est pas aussi importante qu’on veut le dire, même s'il y a des marges d'amélioration. Les citoyens se sont rendu compte que la science a guidé (en partie) les politiques publiques.
Mais il reste à améliorer les relations entre science et politique. L’immense majorité des décideurs est très peu formée à la science, c’est une lacune, comme l'a mis en lumière le Covid. Il faudrait des profils plus diversifiés, pour que la science et la recherche soient plus présentes dans la pensée de nos élites.
Toutes les leçons de la pandémie ont-elles été tirées ?
Non. La France n’a pas fait de retour d’expérience à un haut niveau, contrairement à l’Angleterre ou bientôt l’Allemagne. Par exemple, comment rapprocher les scientifiques et les décideurs politiques, en dehors des crises, comment et pourquoi investir dans la recherche fondamentale… C'est d'autant plus dommage qu'elle n'a pas à rougir de son modèle de « vivre avec » le virus et ses variants, comme en témoigne sa couverture vaccinale ou la faible perte d'espérance de vie (- 3 mois, contre - 2,6 ans aux États-Unis, dont le système de soins n'a pas su protéger les plus vulnérables).
Enfin, je trouve qu'il devrait y avoir une sorte de devoir de mémoire. Je comprends que les Français aient envie de passer à autre chose, mais le Covid a marqué très lourdement notre époque. C’est le rôle que s’est donné l’Institut Covid-19 Ad Memoriam.
*Face à la pandémie, les avis du Conseil scientifique Covid-19, Institut Covid-19 Ad Memoriam, La documentation française, Paul Benkimoun, Jean-François Delfraissy, 1 136 pages, 39 euros
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