À Mayotte, l’opération « Wuambushu » exacerbe les problèmes d’accès aux soins déjà existants

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Publié le 06/07/2023
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Crédit photo : DR

À Mayotte, l’opération « Wuambushu », lancée fin avril pour expulser les étrangers en situation irrégulière, détruire les bidonvilles et lutter contre la criminalité dans l’archipel, exacerbe les problèmes d’accès aux soins déjà existants.

En mai, pendant plus de trois semaines, l’accès aux structures de santé, et notamment au seul hôpital de l’île à Mamoudzou, a été bloqué par des collectifs d'habitants. « Ils avaient comme revendication la réouverture des frontières fermées par les Comores. L’accès au centre hospitalier de Mamoudzou, aux PMI, mais aussi aux permanences associatives au sein des CCAS (centre communal d’action sociale), a été bloqué », raconte Rozenn Calvar, coordinatrice générale du programme de Médecins du Monde (MDM) à Mayotte. Depuis, la tension peine à retomber et des craintes émergent sur les conséquences sanitaires.

Une population affectée par la précarité

Présente sur place, dans les villages de Dzoumogne et Longoni, l’ONG déploie des services de médiation en santé, intervient dans les bidonvilles, effectue des maraudes et œuvre pour l’accès aux droits. À Mayotte, plus de 75 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté et presque la moitié de la population se déclare en insécurité alimentaire. En 2019, une étude de l’Insee montrait déjà que 45 % des habitants de plus de 15 ans déclaraient renoncer aux soins. « La population souffre pourtant de maladies liées à la précarité, comme la malnutrition infantile ou le diabète et l’hypertension », relève Rozenn Calvar.

L’archipel cumule aussi les dispositifs dérogatoires : ni l’aide médicale d’État (AME), ni les permanences d’accès aux soins de santé (Pass) n’y sont déployées. « Les obstacles aux soins étaient déjà multiples avant l’opération », explique Rozenn Calvar, citant les demandes de provision financière ou les contrôles d’identité aux abords des centres de santé, rendus possibles également par dérogation. « Une multitude de mécanismes de dissuasion sèment un climat de peur et d’intimidation qui conduit à des renoncements aux soins », poursuit-elle.

Les conséquences des blocages après l’opération « Wuambushu » sont encore palpables, « avec des gens qui ne veulent pas aller à l’hôpital ou qui pensent que c’est toujours fermé », témoigne la responsable de MDM. Sur le terrain, « on voit des décompensations de maladies chroniques. Un malade cardiaque, par exemple, bien suivi jusqu’ici, avec une pathologie maîtrisée, s’est aggravé et réclame désormais un suivi et des traitements plus importants », poursuit-elle.

Un contexte de désertification médicale

À ces difficultés s’ajoute une « grave » crise liée à la désertification médicale. Fin juin, deux des cinq maternités de l’archipel ont dû fermer faute de personnel soignant. « Depuis plusieurs mois, Mayotte fait face à des difficultés de recrutement de professionnels de santé, notamment au sein de ses maternités », a indiqué le centre hospitalier de Mayotte (CHM), dans un communiqué. Une situation qui a un « impact significatif sur la capacité du CHM à assurer une prise en charge de qualité et en toute sécurité, des femmes sur le point d’accoucher et des accouchements ».

Avant « Wuambushu », Mayotte ne comptait que 86 médecins pour 100 000 habitants en 2021 (contre 339 en métropole). Mais, la perte récente d’attractivité du 101e département pour les soignants est « un effet collatéral de l’opération », juge Rozenn Calvar, déplorant les fermetures partielles de structures de soins par manque de professionnel. Début juin, le CHM avait déjà alerté sur la situation. Alors que 32 médecins urgentistes sont nécessaires à son fonctionnement, seulement six étaient en poste le 6 juin dernier, selon Jean-Mathieu Defour, directeur général du CHM.

Et, entre la population et les soignants, « la communication peut être difficile, les patients ont du mal à formuler leurs situations et leurs problèmes. En face, les soignants, confrontés de multiples tensions, ont du mal à accueillir les patients dans de bonnes conditions », résume-t-elle.

Pour la responsable de MDM, la réponse aux problématiques de Mayotte ne peut pas reposer sur la seule approche répressive. « C’est à un renforcement de l’ensemble des services publics qu’il faut travailler », insiste-t-elle. S’interrogeant sur la volonté des autorités de s’attaquer réellement aux difficultés des habitants, elle plaide pour une sanctuarisation des lieux de soins et pour une meilleure information de la population sur ses droits et l’offre de soins disponible.


Source : lequotidiendumedecin.fr