Violences gynéco, vers la sortie de crise ?

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Publié le 03/03/2023

Le moment en gynécologie est-il celui d’une révolution dans la révolution ou plus simplement une réplique du phénomène de la ruse en histoire ? Les allié.e.s des femmes durant les années soixante et soixante-dix dans les luttes pour le droit à la contraception puis à l’IVG se regardaient en héros. La secousse a été forte pour les médecins en l’absence de signaux d’alerte. Ils et elles sont devenus des adversaires pour la nouvelle génération féministe. Les accusations sont nombreuses, fortes notamment autour des violences gynécologiques, largement exposées dans les médias. Et stigmatisent un pouvoir médical, patriarcal, incapable de le reconnaître. Un rapport du Sénat en septembre 2019 a procuré une définition de ces violences obstétricales. « Il s’agit d’actes non appropriés ou non consentis tels que des épisiotomies, ou la non-utilisation de l’anesthésie pour des interventions douloureuses. Des comportements sexistes ont aussi été recensés. » La définition de la juriste belge Marie-Hélène Lahaye à l’origine d’un blog Marie accouche-là qui a joué un rôle moteur dans la sensibilisation aux violences obstétricales est toutefois plus complète : « Tout comportement, acte, omission ou abstention commis par le personnel de santé, qui n’est pas justifié médicalement et/ou qui est effectué sans le consentement libre et éclairé de la femme enceinte ou de la parturiente. »

Crise de confiance

Comment en est-on arrivé à ce divorce, à cette crise de confiance qui a autorisé des patientes à qualifier l’examen gynécologique de viol ? Dans ce mouvement, sans surprise les réseaux sociaux ont joué un rôle essentiel avec les hashtags #PayeTonUterus et #balancetongyneco. Prélude avant que les politiques ne s’emparent de la thématique qui devient une affaire d’État à la suite de la commande de Marlène Schiappa d’un rapport adressé au Haut Conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes. Les conclusions à l’été 2017 mettent alors le feu aux poudres. Rien ne sera plus comme avant. Le débat s’embrase chez les médecins qui réfutent toute accusation. Le Syngof appelle à la démission de la ministre. Quant à l’Ordre des médecins, il qualifie les propos de Marlène Schiappa de « mal documentés ». Circulez, il n’y aurait rien à voir. Le traumatisme sera toutefois profond en dépit du déni affiché. Le 2 janvier 2018 dans son émission Violences gynécologiques ou obstétricales : mythe ou réalité ? diffusée sur France Culture, René Frydman évoque des positions outrancières tout en appelant à un débat apaisé. Aucune patiente n’est d’ailleurs invitée à l’émission. Quant au Dr Amina Yamgnane, alors à l’Hôpital américain de Paris, elle estime que « le terme de violences obstétricales est réducteur. Nous les professionnels, on s’est senti accusé. On a passé un sale été. Or les violences, c’est la volonté de nuire ». Ce qui en substance ne serait ici pas le cas. La blessure sera longue à cicatriser et le dialogue difficile.

Affaire du Pr Daraï

D’autant que les affaires se multiplient, comme l’illustre la mise en examen récente à l’automne 2022 du Pr Émile Daraï pour violences volontaires sur 32 femmes. Dernier exemple en date, un radiologue cette fois a comparu le 20 février dernier devant la cour d’assises de Gironde pour viols et agressions sexuelles en salle d’examen. Mais comment en est-on arrivé à ce niveau de crispation ? L’évènement capital se serait en fait produit en 2015. Comme le rappelle Lucile Quéré (1), une polémique éclate alors à la suite d’un article paru dans le quotidien Metronews. Des étudiants en stage effectuent des touchers vaginaux sur des patientes sous anesthésie générale en l’absence de leur consentement. Les réponses des médecins sont édifiantes. Selon le Pr Bernard Hédon dans un entretien à l’Obs alors président du Collège national des gynécologues et obstétriciens français, demander le consentement de la patiente « serait aller trop loin dans la pudibonderie ». Quant à la doyenne de l’UFR de médecine concernée, elle craint « qu’à ce moment-là les patientes refusent ». Cette affaire connaîtra une ampleur nationale. Selon Lucile Quéré, elle opère une convergence des luttes autour de la notion de consentement et de la loi Kouchner de 2002.

Criminalisation du viol

Avant ce moment, les mouvements féministes avaient peu investi ce concept dans la relation médicale alors qu’il avait été à l’origine de la criminalisation du viol dans les relations sexuelles non consenties. « Néanmoins, écrit Lucile Quéré, si les féministes françaises se sont longtemps attachées à politiser l’espace privé, elles se sont arrêtées à la porte du cabinet médical. » Ce respect de la porte close, le refus de l’effraction s’expliquent par des spécificités françaises. On connaît le rôle capital joué par les associations de patients de lutte contre le Sida (voir Décision & Stratégie Santé N°325 avril-mai 2021) dans le vote de la loi Kouchner. Or la lutte contre le Sida aurait été influencée aux États-Unis par le mouvement féministe autour des questions de santé. Act-Up impose de ce côté-ci de l’Atlantique lors des années de lutte le principe de l’empowerment. Le militant acquiert non seulement des connaissances médicales. Mais il participe à la production de savoir. Soit des actions mises en œuvre dès les années soixante lors de la lutte pour la contraception et l’avortement par les féministes américaines avec la création de soins de structures autogérées. « Le Women’s Health Movement a ainsi porté une véritable lecture féministe de la société, et en particulier de la gynécologie », estime Lucile Quéré en valorisant notamment des méthodes contraceptives non médicalisées. Ce mouvement s’édifie alors que les gynécologues hommes sont majoritaires dans la discipline aux États-Unis.

Divergence des besoins Etats-Unis/France

En France, ce n’est pas le cas d’autant que les féministes disposaient d’experts comme alié.e.s. Même si des centres autonomes ont été également mis en place dans l’Hexagone avant le vote de la loi Veil. Ils ont toutefois rapidement disparu après 1974 et la réalisation des IVG par des médecins avant des années plus tard leur prise en charge par la collectivité. Les besoins divergent des deux côtés de l’Atlantique. Enfin, il s’agissait ici de défendre un modèle de santé garanti par l’État. D’où des combats menés ici en priorité sur les inégalités de santé plutôt que sur l’absence de savoir autonomes sur le corps des femmes. Bref, c’est longtemps après le vote de loi de 2002 que les féministes de l’Hexagone se saisissent du concept de consentement en santé. Et le déclinent à partir des témoignages vécus par les patientes. Avec la révélation de l’affaire des touchers vaginaux sous AG, la porte du cabinet médical s’ouvre à un discours féministe qui tisse enfin deux facettes du consentement, celui juridique instauré par la loi de 2002 et la volonté de politiser ce qui relèverait de l’espace privé à l’instar des féministes américaines. Au final, la pratique gynécologique s’en trouvera définitivement transformée.

Charte de consultation en gynécologie

Avec l’élection du Dr Joëlle Belaïsch Allart à la tête du CNGOF en janvier 2021, se produit même « une petite révolution », selon les mots de l’intéressée dans un entretien donné à la revue spécialisée Genesis. Surtout des chantiers sont lancés comme la charte de la consultation en gynécologie en octobre 2021, suivie de la charte de la prise en charge en salle de naissance. Enfin, les leçons de l’affaire de Lyon et des touchers vaginaux sans consentement sont définitivement tirées avec la rédaction de recommandations pour la pratique clinique de l’examen pelvien en gynécologie et obstétrique présentées en janvier 2023 lors des Journées Pari(s) Santé Femmes à Lille en janvier dernier. Désormais les nécessités d’un toucher vaginal, d’un examen au spéculum diffèrent selon les situations cliniques. Et ont fait l’objet d’un consensus entre les sociétés savantes. Dorénavant ces pratiques ne relèvent plus du bon vouloir du médecin. Peut-on parler de sortie de crise ?

 

 

(1) Luttes féministes autour du consentement, héritages et impensés des mobilisations contemporaines sur la gynécologie, éditions Antipodes, 2016/1, Vol 35, p.32-47.

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Source : Décision Santé