« Vous n'êtes plus seul.e.s, on vous croit ». Tel est le message que la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) entend faire résonner dans la société. Alors que son mandat prend fin en décembre et que son avenir reste incertain, l'instance publie une analyse des quelque 27 000 témoignages qu'elle a reçus en deux ans, soulignant, chiffres à l'appui, à quel point l'écoute est un besoin vital.
Créée début 2021 dans le sillage de la publication de La Familia Grande de Camille Kouchner, la Ciivise a deux missions : recueillir la parole des victimes et préconiser des politiques publiques pour lutter contre ce fléau. Selon la Ciivise, 160 000 enfants chaque année, soit un adulte sur 10. Son appel à témoignage lancé le 21 septembre 2021, a trouvé un large écho : 26 949 récits ont été recueillis, dont 12 750 par téléphone, 4 575 par courrier ou courriel et 8 969 sur son site internet. Et 755 personnes se sont confiées lors de réunions publiques organisées à travers la France.
Comportements à risque, autodestruction
« La qualité du soutien social a un effet déterminant non seulement sur l’enfant au moment où il révèle les violences, mais aussi sur le développement des troubles post-traumatiques tout au long de sa vie », assure la Ciivise. Le soutien social positif consiste à être à l'écoute, poser des questions et protéger. Et il importe de faire la distinction entre le soutien « négatif » (inverser la culpabilité, éviter le sujet, ramener l’attention sur soi) et l'absence de soutien (rejet de la parole de l’enfant). Seulement 8 % des victimes auraient reçu un soutien positif.
Lorsque le confident (la mère, dans six cas sur 10) a protégé l’enfant, une victime sur cinq n’a développé aucun comportement à risque, constate la commission. Plus de six victimes sur 10 qui ont été protégées ne rapportent pas d’impact des violences sur leur santé physique ; c’est le cas de seulement de quatre victimes sur 10 lorsque le confident ne les a pas crues.
Lorsque le confident croit l’enfant mais inverse la culpabilité et rejette la faute sur lui, les victimes développent des comportements d’autodestruction liés à une perte d'estime d'eux-mêmes. Plus d’une sur deux a des troubles alimentaires (41 % chez celles qui ont été protégées), quatre sur 10 présentent des addictions (24 % si protection), 13 % s'orientent vers la prostitution (7 % si protection). Par ailleurs, près de quatre victimes sur 10 rapportent des problèmes gynécologiques (39 % contre 20 % chez celles qui ont été protégées).
La Ciivise note aussi, chez les personnes agressées dans l'enfance, une surreprésentation des femmes victimes de violences conjugales, deux fois plus nombreuses (31 % et même 52 % chez celles qui ont reçu un soutien négatif, versus 15,9 % en population générale).
Enfin, lorsque les victimes se heurtent au doute ou à l’incrédulité, elles ont tendance à diriger la haine contre les autres : 15 % des victimes qui n’ont pas été crues rapportent des actes de délinquance, deux fois plus que celles qui ont été protégées.
Défaut de protection et de soins
Il ressort aussi des témoignages un cruel défaut de protection et de soins. Parmi la petite minorité (13 %) des enfants qui révèlent les violences au moment des faits, 45 % ne sont pas mis en sécurité et ne bénéficient pas de soins, quand bien même ils sont crus. Le choc est tel que ceux qui recueillent la parole du petit, famille ou professionnel, ont tendance à minimiser l'horreur.
Un tel constat conduit la Ciivise à proposer que les professionnels du champ de l'enfance soient davantage impliqués dans l'écoute des enfants. Aujourd'hui, seulement 15 % des enfants se tournent vers eux, et six professionnels sur 10 ne les protègent pas à la suite d'une révélation. Aussi la commission demande un plan de formation interministériel et interprofessionnel ambitieux pour les soutenir dans le repérage des enfants victimes.
Plus largement, c'est tout l'accompagnement des victimes de violences sexuelles dans l'enfance qui doit être revu. En effet, lorsqu’adultes, les personnes se sont adressées à un professionnel, dans quatre cas sur 10, il n’a rien fait ; moins d’un sur cinq les a crues (17,6 %) ; moins d’un sur 10 les a accompagnées vers un dépôt de plainte (8 %). Quant aux professionnels de santé stricto sensu, les victimes ne sont que quatre sur 10 à estimer que la prise en charge dont elles ont bénéficié leur a permis d’aller mieux. Et seulement 13 % des personnes qui ont déposé plainte ont obtenu une condamnation de l’agresseur. Aussi la Ciivise rappelle-t-elle son plaidoyer en faveur de la mise en place d'un parcours de soins spécialisés et structurés pour chaque victime.
L'inceste « n'est pas qu'une affaire privée, une somme ahurissante d'histoires privées. C'est un problème collectif, d'ordre public, de santé publique », estime le coprésident Édouard Durand. La Ciivise souhaite continuer à façonner une politique publique de protection réelle des enfants. Dans une tribune publiée début septembre, une soixantaine de personnalités – dont Camille Kouchner, Emmanuelle Béart ou Christine Angot - ont réclamé son maintien. Une pétition sur MesOpinions.com a dépassé 17 000 signatures. « Le président de la République recevra le rapport final de la Ciivise en novembre et les arbitrages seront alors rendus », répond la secrétaire d’État à l’Enfance Charlotte Caubel.
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