Ce que la loi de bioéthique va changer pour les médecins

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Publié le 03/09/2021
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La loi de bioéthique a été publiée au « Journal Officiel » le 3 août 2021, point d'orgue d'un processus entamé en 2018 par les États généraux de la bioéthique. Plusieurs décrets sont attendus cet automne pour rendre toutes ses modalités effectives. Quels changements les médecins doivent-ils attendre de cette troisième révision du corpus bioéthique depuis 1994 ? Décryptage.

Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

Mesure phare, la loi de bioéthique ouvre l'assistance médicale à la procréation (AMP ou PMA) à toutes les femmes, seules ou en couple, avec prise en charge par l'Assurance-maladie.

Ce faisant, cette révision des lois de bioéthique supprime le critère médical d'infertilité qui prévalait jusqu'à présent pour bénéficier d'une AMP. Une logique qui s'applique aussi à l'autoconservation des gamètes, désormais possible hors raisons médicales (cancers, endométriose…), dans des établissements de santé publics ou privés à but non lucratif autorisés (voire par dérogation dans le privé lucratif). Le prélèvement sera remboursé, mais pas les frais de conservation, qui restent à la charge du bénéficiaire. La loi interdit qu'un employeur les règle, pour éviter toute pression.

Plusieurs textes sont attendus pour que la loi entre en vigueur : un décret (en cours d'examen au Conseil d'État) doit préciser les conditions d'âge ouvrant le droit à une AMP ainsi que la composition de l'équipe clinico-biologique pluridisciplinaire chargée d'accompagner les demandeurs ; un second concernera l'âge pour l'autoconservation des gamètes ; et un arrêté doit fixer les règles d'attribution des gamètes (et embryons) pour une AMP, indiquant notamment l'ordre de traitement des demandes et les modalités d'appariement des gamètes au regard des caractères phénotypiques du couple, appariement qui doit − comme aujourd'hui − être proposé.

« Une campagne d'une ampleur inédite sur le don de gamètes et sur les nouveautés en matière de droit d'accès aux origines sera lancée en octobre », indique la présidente de l'Agence de la biomédecine (ABM) Emmanuelle Cortot-Boucher au « Quotidien ». En 2018, 777 femmes ont donné leurs ovocytes et 386 hommes leurs spermatozoïdes ; 1 270 enfants sont nés d’une AMP avec don.

À noter, la loi autorise le double don de gamètes pour un couple dont les deux membres auraient des problèmes d'infertilité. Elle n'autorise pas, en revanche, l'AMP pour les transgenres, ou avec les gamètes d'un conjoint décédé (post-mortem), ou la « réception de l'ovocyte de la partenaire » (ROPA).

Accès aux origines, une révolution

« La loi introduit une révolution en matière d'accès aux origines des enfants issus d'un don : jusqu'à présent, l'identité du donneur de gamètes était strictement confidentielle. Ce changement de paradigme implique, de la part des spécialistes de la reproduction, tout un travail d'explication auprès des donneurs mais aussi des receveurs, qui sont encouragés à expliquer aux enfants les modalités de leur conception assez tôt », commente Emmanuelle Cortot-Boucher.

La loi prévoit en effet que les enfants nés d'un don puissent accéder à leur majorité aux données non identifiantes (âge, caractéristiques physiques, etc.) du donneur et même, s'ils le souhaitent, à son identité. Les candidats au don devront, pour être acceptés à partir d'août 2022, donner obligatoirement leur consentement à une telle révélation si l'enfant en fait la demande. Le don reste pour autant anonyme, un couple ne pouvant choisir un donneur, et réciproquement.

L'ABM a un an pour mettre en place un registre national des donneurs de gamètes et d'embryons. Quant aux anciens donneurs, ils pourront être recontactés si l'enfant le souhaite par une commission ad hoc placée auprès du ministère de la Santé, pour savoir s'ils acceptent de transmettre leurs données (le cas échéant, à l'ABM).

Faciliter les recherches sur les cellules souches embryonnaires

Cette troisième révision redessine l'équilibre entre l’importance de faciliter la recherche et l’affirmation de lignes rouges éthiques. Sont ainsi interdites toute modification du génome des gamètes ou des embryons destinés à être implantés, toute création d’embryon à des fins de recherche et toute adjonction de cellules animales dans un embryon humain.

La loi ne touche pas au régime des recherches sur l'embryon humain, soumises à une autorisation de l’ABM (qui regarde plusieurs critères comme la pertinence scientifique, l'absence d’alternatives, etc.). Seuls ajouts : une durée limite du développement in vitro des embryons est fixée au quatorzième jour suivant leur constitution (elle était jusque-là non précisée) et la possibilité d'un recours aux techniques de modification du génome.

En revanche, la loi crée un nouveau régime pour les protocoles de recherche sur les cellules souches embryonnaires (CSE) humaines, qui, eux, doivent faire l’objet d’une déclaration auprès de l’ABM. « La loi tire ainsi les conséquences de la différence éthique entre les recherches sur l'embryon et sur les CSE : ces dernières ne conduisent pas à la destruction d'un embryon », note Emmanuelle Cortot-Boucher.

Un tel régime déclaratif s'appliquera aussi à certaines recherches sur les cellules souches pluripotentes induites humaines (iPS) à caractère sensible, notamment celles portant sur les chimères homme/animal, dont l'encadrement est clarifié.

Encourager le don vivant

La nouvelle loi devrait encourager le don croisé d'organes (majoritairement, de rein) entre vivants, en ouvrant la possibilité de mobiliser jusqu'à six paires de donneurs et de receveurs consécutifs, contrairement à deux aujourd'hui. Il est désormais possible d'intercaler dans la chaîne un organe prélevé sur une personne décédée, et les opérations de prélèvement ne doivent plus obligatoirement être simultanées, tout en restant dans un délai maximal de 24 heures.

« Le don croisé permet à des personnes en attente d'une greffe, qui ont un donneur, mais non compatible, de surmonter cette incompatibilité. Ces nouvelles modalités devraient relancer le don croisé, lancé en 2013, mais à l'arrêt ces dernières années notamment par manque de paires », explique Emmanuelle Cortot-Boucher.

En matière de don de moelle osseuse, la loi autorise désormais un mineur ou un majeur protégé à faire un don au profit de ses parents - et non seulement au profit de la fratrie, des cousins, des oncles et tantes ou neveux et nièces. « Les parents étaient exclus de la liste des receveurs potentiels, car le prélèvement d'un mineur suppose le recueil du consentement auprès de la personne titulaire de l'autorité parentale et le législateur craignait un conflit d'intérêts. La nouvelle loi prévoit un système protecteur pour le mineur, puisque le consentement sera recueilli auprès d'un administrateur ad hoc le représentant », précise la présidente de l'ABM, soulignant une avancée nécessaire au développement des greffes haplo-identiques. L'Agence voit sa mission de suivi de l’état de santé des donneurs d’organes et d’ovocytes étendue à celui des donneurs de cellules souches hématopoïétiques (CSH).

Pour le don de sang : la loi supprime la distinction entre donneurs hétéro et homosexuels (jusqu’à présent soumis à un délai d’abstinence de quatre mois). Un arrêté doit préciser les nouveaux critères de sélection.

Enfin le don du corps à la science prend place pour la première fois dans les lois de bioéthique. En réaction au scandale des Saints-Pères, les établissements autorisés s’engagent à traiter avec respect et dignité les corps qui leur sont confiés.

Améliorer l'information génétique de la parentèle

Jusqu'à présent, il n'était pas possible de procéder à un examen des caractéristiques génétiques d’une personne hors d’état d’exprimer sa volonté ou décédée (le consentement étant nécessaire). La nouvelle loi ouvre la voie à de tels examens dans l'intérêt des membres de la famille du défunt, afin qu'ils puissent bénéficier de mesures de prévention ou de soins. Le médecin doit vérifier que la personne ne s'y est pas opposée de son vivant ; puis il doit informer les membres de la famille potentiellement concernés de l’existence plausible d’une anomalie conduisant à un tel examen. Ces derniers peuvent le refuser ou l'accepter par écrit, en sachant qu’un accord suffit pour que l’examen soit réalisé. « Le dispositif respecte le droit de certains membres de ne pas vouloir savoir. L'information est accessible aux membres de la famille qui le demandent », résume Emmanuelle Cortot-Boucher.

Enfin, la loi permet au médecin d’informer un patient (et sa parentèle) soumis à un examen génétique, s’il y consent, de la découverte de caractéristiques génétiques incidentes, sans relation avec l'indication initiale du test, dès lors qu’elles ont un intérêt en termes de soins ou de prévention, pour lui ou sa famille.

En revanche, les tests dits récréatifs restent interdits, tout comme leur publicité. La mission de l'ABM d'évaluer leur qualité est donc supprimée.

Le rôle des conseillers en génétique, qui pourront prescrire certains examens de biologie médicale et en communiquer les résultats (sous la responsabilité d'un médecin), sera affiné par décret. « Vu la croissance du nombre d'examens génétiques, il est important que leurs missions soient élargies », commente la présidente de l'ABM.

Intelligence artificielle

Le médecin qui a recours à un dispositif médical reposant sur l’intelligence artificielle doit en informer le patient. De leur côté, les concepteurs de ces outils doivent s’assurer de l’explicabilité de leur fonctionnement.

Les intersexes

La loi précise que les enfants présentant une variation du développement génital doivent être pris en charge dans des centres de référence des maladies rares spécialisés (il en existe quatre), afin que les équipes pluridisciplinaires établissent un diagnostic et informent sur les propositions thérapeutiques possibles (y compris l’abstention). L’équipe doit proposer un accompagnement psychosocial à l’enfant et à sa famille, et le consentement du mineur doit être systématiquement recherché.

Coline Garré

Source : Le Quotidien du médecin