Dossier

Enquête sur la vie de 3 500 praticiens hospitaliers

Femmes médecins : l'hôpital, ce monde où la discrimination fait la loi

Par Anne Bayle-Iniguez - Publié le 07/03/2019
Femmes médecins : l'hôpital, ce monde où la discrimination fait la loi

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SEBASTIEN TOUBON

À la veille de la journée de la femme, les syndicats Action praticiens hôpital (APH) et Jeunes médecins dévoilent une enquête nationale édifiante sur le quotidien des médecins à l'hôpital et à la maison. 

3135 praticiens hospitaliers (PH), hospitalo-universitaires, chefs de clinique et internes ont répondu anonymement à plus de 120 questions sur l'équilibre entre vie privée et vie professionnelle. À l’origine de la démarche, cette question : l'hôpital, héritier d'un univers codifié, refermé sur lui-même et traditionnellement masculin, s'est-il adapté à l'évolution démographique de la profession ? Le monde médical hospitalier est-il raccord avec la société civile, qui voit la parole féminine se libérer sur la discrimination liée au genre et sur le harcèlement moral et sexuel en milieu professionnel ?

La cooptation comme mode de sélection

En 2018, 52 % des postes de PH à temps plein sont occupés par des femmes mais seulement 21,2 % des postes de PU-PH. Dans les centres hospitaliers, elles siègent à la présidence d'une commission médicale d'établissement (CME) sur trois.

L'enquête (ci-dessous) établit une typologie des discriminations dont les femmes médecins sont victimes. Les chiffres sont évocateurs : 43 % des femmes interrogées ont déjà ressenti une discrimination sur leur lieu de travail lié au sexe, quand ce pourcentage tombe à 18 % pour les hommes. De nombreux témoignages (lire page 4) évoquent des comportements et propos condamnables liés au genre, à la grossesse ou aux congés maternité.

L'hôpital est le théâtre d'inégalités entre hommes et femmes sur l'accès aux postes à responsabilité et hospitalo-universitaires. Dénoncé par le Dr Nicole Smolski, présidente d'honneur d'Action praticiens hôpital (page 3), ce plafond de verre professionnel engendre une autocensure sur la vision que les femmes médecins se font de leur carrière. « À titres et travaux égaux, c'est plus difficile pour une femme que pour un homme de devenir chef de service, surtout dans le monde hospitalo-universitaire, analyse le médiateur national Édouard Couty. Les choses changent, mais certaines spécialités chirurgicales restent très marquées par le compagnonnage et la cooptation, utilisés comme un mode de sélection ».

« À l'hôpital, la société patriarcale est toujours en marche, enchérit Jacques Trévidic, président d'APH. Le poids des traditions est tel que la charge mentale liée à la famille repose encore sur la femme. Sept femmes PH sur dix s'occupent du linge à la maison, c'est dire ! »

Culte du secret 

L'hôpital a beau s'ouvrir sur la ville et le monde, celles et ceux qui le font tourner dénoncent l'omerta et les stratégies de pouvoir inhérentes à toute organisation pyramidale. D'après le Dr Emanuel Loeb, président de Jeunes médecins, les femmes sont les premières à en faire les frais : « Des femmes se voient retirer un poste de chef de clinique, voie royale pour devenir hospitalo-universitaire, dès lors qu'elles annoncent leur grossesse. Et personne ne dit rien car la logique de groupe l'emporte ». Interrogées sur l'impact de la campagne #MeToo dans leur environnement de travail, 56 % des femmes médecins avouent ne pas faire de différence entre l'avant et l'après. 

 

 

Dossier réalisé par Anne Bayle-Iniguez