Lutte contre le refus de soins et les dépassements excessifs

Les nouveaux pouvoirs des caisses primaires inquiètent les médecins

Publié le 10/06/2009
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Crédit photo : S Toubon

L’ASSURANCE-MALADIE passe la vitesse supérieure. Après la parution au « Journal officiel », le 31 décembre 2008, du décret fixant les pénalités infligées aux médecins qui pratiqueraient des dépassements d’honoraires excessifs, plusieurs directeurs de caisse primaire prennent les devants. «  De nombreux confrères nous ont signalé que des CPAM convoquent des commissions paritaires locales (CPL) pour signifier des procédures visant à sanctionner le non respect du tact et de la mesure », indique le Dr Christian Jeambrun, président du Syndicat des médecins libéraux (SML). Après avoir engagé une action nationale contre les 5 % de professionnels de santé ayant le taux le plus bas de patients bénéficiaires de la CMU, les caisses primaires s’attaquent aux dépassements d’honoraires. Le phénomène est nouveau. Il surprend la profession.

Les conflits se multiplient.

Le SML s’est ainsi étonné du déroulement d’une récente commission paritaire locale dans l’Essonne. «  Cent trente-quatre médecins ont été ciblés, qui exercent pour 80  % de leurs actes en secteur II et dont le dépassement moyen est de 17,94  euros, commente le Dr Jean-Pierre Batard, responsable du SML 91. Des lettres de mise en garde vont être envoyées aux praticiens dont les dépassements seront supérieurs à cette somme ». Le syndicaliste est révolté par le procédé. «  C’est insupportable, dit-il. On remet en cause le tact et la mesure, la définition retenue par l’Ordre des médecins. C’est facile et rapide de faire une moyenne et de dire que tout ce qui est au-dessus est mauvais  ».

Dans les Hauts-de-Seine, un praticien a été convoqué pour des dépassements jugés excessifs par sa CPAM. «  Un chirurgien vasculaire s’est vu reprocher des honoraires de 100  euros pour une consultation, explique le Dr Jean-Alain Cacault, président de la FMF 92 (Fédération des médecins de France). Or ce médecin a une très grande expertise et réalise un type d’intervention que tout le monde ne sait pas faire! Heureusement, il n’a finalement pas été inquiété ». Le Dr Cacault est un fervent défenseur du secteur II. «  Je ne vois pas comment la Sécu peut dire qu’un tarif est justifié ou pas sur la base de la définition du tact et de la mesure, poursuit le praticien. Nous assistons à un abus de pouvoir  ».

Dans la région Nord-Pas-de-Calais, des syndicats se sont émus de voir un médecin du sport sanctionné par le directeur de la CPAM de Boulogne-sur-Mer. Le praticien s’est vu signifier que ses prescriptions de kinésithérapie seraient désormais soumises à l’accord préalable du service médical de la Caisse. La décision a été prise contre l’avis de la commission des pénalités. En soutien à leur confrère, les médecins boulonnais vont réagir. Ils ont prévu, à l’appel de plusieurs syndicats, «  la commande massive de feuilles de soins papiers, une grève de la télétransmission du 15 au 30  juin et la fermeture des cabinets le 1er  septembre ».

Incompréhension et colère.

Ces exemples l’illustrent, la situation s’envenime entre les médecins et les caisses primaires. «  La dernière loi de financement de la Sécurité sociale est responsable de cette situation, analyse le Dr Michel Chassang, car elle autorise les directeurs de caisse à s’appuyer sur des profils statistiques pour inquiéter les médecins  ». Si les caisses constatent par exemple que les prescriptions de séance de kinésithérapie, d’arrêts de travail ou de transports sanitaires d’un médecin sont supérieures à la moyenne des médecins du département, elles pourront contacter les médecins et entamer une procédure. «  Les médecins vont être inquiétés sans que l’on tienne compte de la spécificité de leur exercice ou de leur patientèle, poursuit le président de la CSMF (Confédération des syndicats médicaux français). C’est une absurdité totale. Certaines caisses commencent déjà à faire preuve de zèle ». Selon le Dr Chassang, «  la loi a donné trop de pouvoirs aux directeurs de caisses primaires », qui peuvent engager des poursuites contre un médecin sans tenir compte de l’avis de la commission de pénalités. «  Tout se passe comme si les directeurs avaient pour mission de faire du chiffre et fonctionnaient à la manière de radars automatiques qui se déclencheraient au moindre dépassement de norme, sans prendre en compte la situation propre à chaque médecin », dénonce pour sa part le SML, qui a récemment décidé de se retirer des commissions de pénalité. «  Nous refusons de servir de caution à une politique répressive à l'encontre des médecins  », commente le Dr Jeambrun. Excédé par les «  offensives lancées contre les médecins par l’Assurance-maladie  », le SML demande un entretien au directeur général de l’UNCAM. «  Pourquoi la mise en place brutale de cette procédure sur les dépassements, pourquoi le contrôle du pourcentage de patients en CMU dans les patientèles, le contrôle renforcé des indemnités journalières, la mise en place des CAPI (contrats d’amélioration des pratiques individuelles) contre l’avis des professionnels et de l’Ordre des médecins?  », interroge le Dr Jeambrun. Le SML dit d’autant moins comprendre «  les accusations contre les médecins que les dépenses de médecine de ville n’ont jamais été autant sous contrôle selon les statistiques de la CNAM et selon les observations du comité d’alerte qui a confirmé qu’il n’y aurait pas besoin de plan de redressement cette année ».

Des directives nationales.

Un directeur-adjoint de caisse primaire, contacté par « le Quotidien », confirme que l’action des CPAM répond à des directives nationales. «  Aujourd’hui les outils juridiques existent et la CNAM a demandé aux caisses primaires de faire des recherches sur les praticiens qui exercent les plus grands dépassements, explique ce responsable. Nous prenons en compte l’activité du praticien, le montant des dépassements et leur fréquence sur un acte donné par rapport aux médecins du même département  ».

Les prérogatives acquises par les caisses primaires, au détriment de l’Ordre des médecins, inquiètent les médecins. Elles n’entraînent pas pour l’instant de réaction hostile de l’Ordre. «  Quelques caisses démarrent sur les chapeaux de roue, elles sont dans leur rôle mais il me semble nécessaire d’attendre le vote définitif de la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) pour savoir ce qu’elle contiendra, explique le Dr Jacky Ahr, secrétaire général adjoint du Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM). Ensuite, l’Ordre et la CNAM devront voir comment travailler ensemble sur ce sujet. Mais il faut garder son calme  : un tout petit nombre de médecins sont concernés par les dépassements excessifs ».

 CHRISTOPHE GATTUSO

Source : lequotidiendumedecin.fr