Corporatisme médical, mercantilisme : quand le Dr Martin Blachier exaspère ses confrères

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Publié le 15/04/2022

Crédit photo : DR

Le médecin de santé publique et épidémiologiste « star » des plateaux télé, Martin Blachier, a publié en mars « Méga-gâchis : histoire secrète de la pandémie » (Éditions du Cerf), un retour sur les deux folles années du Covid, où il tire à boulets rouges – entre autres – sur le pouvoir supposé du corps médical.

Pendant la pandémie, le monde médical aurait « terrorisé l'exécutif », assène l’auteur aux thèses très controversées, et qui a lui-même acquis une visibilité hors normes durant la pandémie. « La santé en France, ce sont les soignants. On l’a vu pendant le Covid : on a davantage parlé d’eux que des patients en souffrance ! », martèle-t-il. Il pourfend volontiers la corporation médicale devenue si puissante que le pouvoir n’aurait pas la force de s'y opposer, selon lui

Lobby libéral et lenteur vaccinale

Pendant la crise Covid, c'est cette « soumission » qui aurait annihilé toute capacité de décision pertinente, l’exécutif s’alignant sur les médecins, par exemple lorsque ces derniers incitaient au « sacrifice » des jeunes au bénéfice des plus âgés. Le médecin attribue également au secteur médical libéral une part de la lenteur « criminelle » des débuts de la vaccination en France.

« L’hypersensibilité aux intérêts corporatistes va s’exprimer de manière [très] marquée au moment de lancer la campagne », lit-on dans son ouvrage, relatant qu’au début 2021, le ministre annonce que la vaccination sera largement confiée aux libéraux. Martin Blachier pointe « l’absurdité » d’un tel choix, alors que des vaccinodromes poussent comme des champignons partout en Europe. D’après lui, si la médecine de ville avait hérité de cette mission, il aurait fallu des mois, voire des années pour vacciner la population… « C’est bien le lobby de la médecine libérale qui, dans les premiers mois, va faire pression sur Olivier Véran pour qu’elle ne soit pas "oubliée" dans le cadre de cette vaccination de masse », fait-il valoir. Si le retard français a fini par être rattrapé, Martin Blachier estime qu’on a perdu plusieurs semaines.

« La boussole qui indique le Sud »

Ce positionnement ciblant volontiers la médecine de ville n'a pas manqué d'agacer ses confrères libéraux, eux-mêmes très critiques sur la gestion de crise sanitaire et ses dysfonctionnements logistiques. « Pour les vaccins, il s’est passé la même chose que pour les masques puis pour les tests, on ne recevait pas les doses, recadre le Dr Jérôme Marty, président de l’UFML Syndicat. Quelques doses d’AstraZeneca nous parvenaient de façon hebdomadaire avant qu'on apprenne qu’il ne fallait pas vacciner avec. » Surtout, il serait très malvenu d'affirmer que la médecine libérale a fait défaut dans la vaccination alors que ce sont très souvent des généralistes de ville et des infirmiers libéraux qui faisaient ensuite tourner les centres de vaccination. « Nous en avons monté jusqu’à 32 en Haute-Garonne », souligne le syndicaliste.

Le procès en corporatisme libéral serait particulièrement déplacé alors que la profession n’a jamais été aussi encadrée, répliquent les détracteurs de Martin Blachier. « Il est resté dans les années 80 », s'agace encore le Dr Jérôme Marty. Le Dr Jacques Battistoni, président de MG France, objecte que ceux qui ont donné le « la » pendant la pandémie ne sont pas les libéraux mais plutôt… les épidémiologistes qui squattaient les plateaux télé.

Ce sont aussi les revirements péremptoires de Martin Blachier qui exaspèrent – alarmiste au départ, « rassuriste » ensuite (contestant parfois les chiffres de Santé publique France ou minimisant l’impact des variants à la troisième vague). « Blachier, c’est la boussole qui indique le sud », cogne Matthieu Calafiore, généraliste, maître de conférences des Universités. Au début, « il proposait de confiner les 17 millions de Français les plus âgés jusqu’à 30 semaines, afin que les jeunes vivent leur vie », se souvient le Dr Michaël Rochoy, généraliste à Outreau, co-fondateur des collectifs Stop-Postillons et Du Côté de la Science.

Mercantiles, les libéraux ?

Au-delà de leur implication pendant la pandémie, Martin Blachier pointe volontiers la propension des médecins libéraux à optimiser leurs revenus. « C’est un comble de se voir mis en cause sur le terrain de l’argent par celui qui s’est enrichi grâce l’épilation au laser interfessier », relève le médecin écrivain Christian Lehmann. Le chroniqueur de « Libération » n’est pas le seul à pointer la contradiction derrière les accusations en mercantilisme de la part d’un entrepreneur qui sait faire fructifier son capital. « Quel médecin aurait pu, comme lui, passer autant de temps sur les plateaux TV sans craindre de perdre son gagne-pain ? » questionne le Dr Matthieu Calafiore. La seule explication, d’après le généraliste lillois, « c’est que sa société ou ses placements fonctionnent très bien ».

Le Dr Franck Devulder, président de la CSMF, se refuse à toute polémique. « Lors de ce qui nous a été annoncé comme un combat guerrier contre la pandémie, tout le monde s’y est mis, souligne-t-il. Libéraux et secteur public ont travaillé ensemble pour le bien commun. C'est à partir de cette expérience qu'il faut réinventer le système santé ». 

Qui est Martin Blachier ?

Après des études en santé publique et recherche biomédicale et statistique, le médecin entrepreneur de 36 ans a autant travaillé pour le public que pour le privé. Dès 2009, il met un pied chez Sanofi-Aventis pour un stage. Les deux années suivantes, il effectue des missions à l’Inserm, puis à la Haute Autorité de santé. 

Après avoir cofondé une société de conseil et de prestations de services en santé publique, il devient consultant en 2015 pour Gilead, Janssen, Ipsen et Lundbeck. En juin 2015, il crée un centre de photo-dépilation, dont il restera gérant jusqu'en novembre 2020. Avec plus de 1 200 interventions sur les plateaux en deux ans, Martin Blachier a été omniprésent pendant la pandémie. Son ouvrage paru en mars est une synthèse de ses prises de position et un plaidoyer pro domo.


Source : lequotidiendumedecin.fr