Dr Patrick Bouet : « Nous ne devons pas laisser se monter des self-services de soins »

Publié le 20/05/2022
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Il fut le premier médecin généraliste président du Conseil national de l’Ordre des médecins. A quelques semaines de passer la main, le 22 juin, le Dr Patrick Bouet a accepté de revenir sur les temps forts de ses neuf ans de mandat, les principales réformes qu’il a menées, le sévère rapport de la Cour des Comptes. Il récuse avoir marché sur les platebandes syndicales et assure avoir toujours tenté de rassembler la profession. S’il convient qu’une meilleure coordination des soins est indispensable contre la désertification médicale, il tient à ce que le leadership médical soit préservé.

Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

LE QUOTIDIEN : Quel sentiment domine au moment de quitter la présidence de l’Ordre ?

Dr PATRICK BOUET : J’ai choisi de ne pas me représenter. J’ai le sentiment d’avoir atteint les objectifs que je m’étais fixés en 2013. L’Ordre s’est modernisé, a réformé son fonctionnement et renforcé sa transparence. Il s’est confronté aux grands enjeux comme la loi Claeys-Leonetti sur la fin de vie en 2016. L’Ordre a aussi regardé en face les violences faites aux femmes, aux enfants et aux médecins. Avec le renouvellement électoral à venir, l’Ordre est capable de se projeter dans l’avenir du système de santé et de répondre aux préoccupations des médecins et des Français.

Le Cnom sera paritaire dans quelques semaines comme l’est le corps médical. Quelle incidence cela aura-t-il ?

Arriver à la parité était nécessaire pour améliorer notre représentativité. La régénération de nos membres est aussi engagée avec la limite d’âge au-delà de laquelle on ne peut plus se présenter. Le 22 juin, l’Ordre national sera quasiment paritaire (cela dépendra des deux personnalités nommées par le garde des sceaux et le Conseil d’État) et ses nouveaux conseillers auront moins de 71 ans.

Être au service des médecins dans l’intérêt des patients, tel est le credo de l’Ordre : Pensez-vous être parvenu à en faire une institution moins corporatiste ?

Je crois que nous sommes parvenus à assumer cette dualité. L’Ordre est né pour parler pour la profession mais en même temps, elle assume totalement le fait d’être garante de la qualité des actes médicaux et de la sécurité des patients. Aujourd’hui, nous parlons pour la profession dans l’intérêt des patients.

Six millions de Français n’ont pas de médecin traitant. Que devra faire votre successeur pour améliorer l’accès aux soins ?

La problématique de l’accès aux soins a pris une importance cruciale. L’Ordre devra réaffirmer l’importance de garder des organisations des soins territoriales coordonnées par le médecin. Il devra assurer partout l’équité et la sécurité de l’accès aux soins. Nous défendons le principe d’une responsabilité partagée des acteurs de soins pour assurer la continuité des soins sur un territoire, mais coordonnée par le médecin. Ce sera le grand défi de demain.

Les pouvoirs publics ont confié certaines prérogatives médicales à d’autres professions de santé. Cela vous inquiète-t-il ?

Si le législateur veut faire faire de la médecine par d’autres, forcément, cela se fera en dépeçant des métiers. Le problème n’est pas de savoir si un infirmier, une IPA ou un pharmacien va faire tel acte, la question est de savoir s’il sera formé pour le faire et si la qualité des soins sera assurée. Jusqu’à preuve du contraire, le médecin est le mieux placé pour garantir la sécurité des soins. Nous ne devons pas accepter de laisser se monter des self-services de soins sans coordination. C’est pour ces raisons que nous nous sommes opposés à la création d’une profession intermédiaire. Vouloir créer demain un infirmier ou une sage-femme référent n’a pas de sens.

Des syndicats vous ont reproché de sortir de vos prérogatives premières et de marcher sur leurs platebandes en prenant la défense des intérêts de la profession. Assumez-vous ce positionnement ? Regrettez-vous peut-être d’être parfois allé trop loin ?

Dr P. B. : Je n’ai pas de regret car je n’ai pas de culpabilité. Avec mes équipes, nous avons été le garant de la déontologie médicale et quand nous avons exprimé des avis sur des dispositions conventionnelles, nous n’avons fait que répondre à la loi. Nous n’avons pas défendu les droits corporatistes. Jamais je ne suis entré sur le champ syndical.

Fin 2019, la Cour des Comptes a épinglé l’Ordre des médecins présenté comme « réticent au changement », sur des « défaillances de gestion », son « laxisme disciplinaire …A posteriori, cet épisode vous a-t-il aidé à réformer le mode de fonctionnement ?

Heureusement que nous n’avons pas attendu ce rapport pour réformer l’Ordre des médecins. La Cour des comptes a oublié que l’Ordre n’est pas une administration dont les responsables sont nommés par l’État mais une instance dont les membres sont élus. L’Ordre, c’est 4 500 conseillers, 500 collaborateurs, qui couvrent tout le territoire et qu’il a fallu emmener dans ce mouvement de réforme. Bien avant 2019, grâce à Marisol Touraine, nous avons obtenu un règlement de trésorerie opposable et revu les règles de financement. Sur le DPC, si le gouvernement depuis 25 ans avait conclu la réforme, il y a belle lurette que nous aurions mis en application la réforme mais à chaque fois les règles changent. Et nous venons seulement de recevoir de l’ANDPC les documents de traçabilités pour la première obligation triennale et donc d’avoir les moyens de commencer notre travail de vérification. S’il y a un point positif à retenir, c’est que la Cour des comptes nous a fait prendre conscience collectivement que nous devions continuer dans la durée l’action réformatrice.

Sur l’instruction des plaintes, ce rapport a-t-il permis de faire accélérer certaines procédures ?

Sous mes trois mandats, nous n’avons pas hésité à mettre en cause des professionnels quand ils nous semblaient être en infraction avec la déontologie. Mais je rappelle qu’en la matière, l’Ordre a une responsabilité administrative et qu’il y a une indépendance juridictionnelle. Une fois qu’une plainte est transmise à la chambre disciplinaire, le président du Conseil national ou départemental ne peut pas interférer sur la façon dont cette plainte va être instruite, ordonnancée et jugée. Nous avons demandé au Conseil d’État et obtenu des moyens et des juges supplémentaires, davantage d’assesseurs. Le nombre d’instructions a augmenté mais malheureusement la durée de traitement des dossiers n’a pas raccourci (1 592 affaires ont été jugées en 2021, soit 35 % de plus qu’en 2020, selon le dernier rapport d’activité de l’Ordre, mais le délai moyen de jugement était d’un an, 3 mois et 25 jours pour l’ensemble des chambres, plus de 2 000 affaires restant en instance NDLR)

Sur la question des conflits d’intérêts, vous avez réclamé la déclaration des conventions entre les laboratoires et les médecins. Qu’en ressort-il ? L’Ordre a-t-il refusé un grand nombre de conventions irrégulières ?

L’Ordre autorise ou non les conventions après examen. Une commission rassemble une dizaine de conseillers nationaux et une douzaine de collaborateurs qui traite des dizaines de milliers de dossiers chaque année. Ce n’est pas une mince affaire. En 2021, 15 836 décisions ont été rendues sur des projets de convention par la commission qui ont abouti à 13 698 autorisations et 2 138 refus. Or la base de données de l’État basée sur la déclaration des données de l’industrie pharmaceutique n’a pas de rapport avec les éléments dont nous disposons, qui sont des données d’autorisation ou de non autorisation. Nous demandons que la loi évolue encore pour nous donner la réponse à notre autorisation.

Sur quels autres sujets majeurs, l’Ordre devra-t-il se mobiliser dans les prochaines années ?

Il ne m’appartient pas de déterminer ce que devra faire mon successeur. Il jugera avec son équipe, ce qui lui semble prioritaire. Indépendamment de l’accès aux soins, l’Ordre devra répondre à plusieurs grandes questions sociétales, sur la fin de vie, l’IVG, la GPA ou des sujets de bioéthique. Il lui faudra se positionner sur l’usage grandissant du numérique et la sécurité des données. Avec l’énorme appétit des acteurs de ce secteur, comment assurer la sécurité du secret médical, attaqué de toutes parts ? Enfin il importera de maintenir l’indépendance des soignants vis-à-vis des financeurs, ces grands groupes qui veulent créer des centres de soins non programmés au sein desquels on ne sait pas quel médecin va soigner…

Qu’aimeriez-vous qu’il reste de votre passage à la présidence de l’Ordre ?

Je souhaite que l’Ordre reste la maison commune des médecins et puisse, de façon décomplexée, interpeller le pouvoir politique sans crainte. Ce doit être le lieu de représentation de tous les médecins, libéraux, hospitaliers, jeunes confrères… Il n’y a qu’une profession unie qui peut se faire entendre.

Ch. G.

Source : Le Quotidien du médecin