Entretien avec la présidente du Haut conseil français de la télésanté

Ghislaine Alajouanine : « On a fait plus en 100 jours qu’en 10 ans sur la télémédecine ! »

Publié le 29/05/2020
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Explosion des téléconsultations, montée en puissance du télésoin : Ghislaine Alajouanine, présidente de l’Académie francophone de télémédecine et e-santé et du Haut conseil français de la télésanté, souhaite capitaliser sur l'appropriation massive des usages numériques pendant la crise du Covid-19 pour faire de la France un « leader » du secteur.

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LE QUOTIDIEN : Comment analysez-vous le boom de la télémédecine ces dernières semaines ?

La crise que nous traversons, d’une nature sanitaire sans précédent, accélère l’innovation et lève les principaux freins contre les usages numériques. Comme le disait Jean Monnet, "les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise".

Sur la télémédecine, on a fait plus en 100 jours qu’en 10 ans ! Le Covid-19 a servi de révélateur. L’effet positif majeur est que les soignants et les patients se sont appropriés la télémédecine. Et que les politiques et les financiers ont été obligés de se l’approprier.

Quels enseignements en tirez-vous et quels risques voyez-vous ?

Les choses vont dans le bon sens. La crise a permis un pas de géant, il faut maintenant, après la phase d’excitation, maintenir les avancées et poursuivre à grandes enjambées sans revenir aux mauvaises habitudes. Mais gare aux "marchands de candélabres" qui préfèrent améliorer la bougie plutôt qu’inventer l’électricité, et aux charlatans qui font du téléconseil mercantile...

La télémédecine est avant tout de la médecine, elle doit être faite par des professionnels de santé et préserver le patient et le soignant. Il faut donc qu’il y ait des règles mais des règles qui ne soient pas des freins. Et il faut de l’ambition – celle pour la France de devenir leader !

Que préconisez-vous ?

Je milite pour la création d’un fonds de solidarité abondé par les assurances, les mutuelles et les entreprises, et pour le lancement d'un plan quinquennal, un "Plan Marshall" pour la télémédecine. Avec une feuille de route, un tableau de bord, des moyens — 200 millions d'euros pour amorcer — et des "commandos" d’experts publics et privés en appui au déploiement, au maillage de la France par la télémédecine.

Huit millions de personnes vivent dans des déserts médicaux qui sont souvent aussi des déserts économiques. Pour garantir un système pérenne, il faut conjuguer social et économique, excellence médicale et innovation de terrain.

Il faut enfin élargir la télémédecine au télésoin qui permet, grâce au numérique, de mesurer, surveiller, prévenir et répondre aux besoins de chacun dans son environnement. Le télésoin s’ancre déjà dans les territoires et s’inscrit dans la médecine 6P — prédictive, préventive, participative, personnalisée, plurielle et de proximité.

Dans cette évolution, quel est le rôle des médecins ?

Les médecins sont des trésors nationaux vivants ! Mais il faut revoir la structuration du système de santé et penser désormais "bassin de vie", parcours de soin coordonné, maison de santé. Le métier du médecin va changer : demain, ce n’est plus le patient qui va appeler son praticien mais l’inverse, grâce au télésuivi !

80 % des praticiens de moins 50 ans utilisent déjà des objets connectés de santé. Le médecin va devoir s’adapter à la télésurveillance, travailler avec les données et laisser certaines tâches aux infirmiers, pharmaciens, auxiliaires de santé. Cette révolution de l’exercice médical permettra au médecin de se recentrer sur son temps intelligent et de discernement.

Propos recueillis par Alexandra Foissac La crise a permis un pas de géant Il faut qu’il y ait des règles qui ne soient pas des freins 

Source : Le Quotidien du médecin