Inquiétude autour du niveau des médecins en formation

Internes incompétents : le scandale

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Publié le 02/02/2017
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Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

Il y a un an déjà, les autorités hospitalo-universitaires s'alarmaient du nombre croissant d'internes incompétents (« le Quotidien » du 14 janvier 2016).

Huit internes de médecine générale d'Île France ayant entamé leur cursus dans un autre pays de l'Union européenne et ayant ensuite passé les ECN en France avaient même été suspendus et placés dans un stage en surnombre de remise à niveau dans des services parisiens.

Un an plus tard, la situation reste problématique. Les huit internes concernés ont été réintégrés dans le cursus. « En l'absence d'instruction du ministère de la Santé, l'agence régionale de santé d'Ile-de-France n'a pas souhaité reconduire ces stages qui n'étaient pas prévus par la réglementation, redoutant de s'exposer au recours d'un étudiant concerné », nous apprend la coordination francilienne des départements de médecine générale. À l’origine de l'alerte, le Pr Philippe Jaury, a depuis démissionné de son poste de coordinateur du DES de médecine générale en Ile-de-France, dénonçant le statu quo. « La situation est catastrophique, je suis amer, nous n'avons pas été soutenus, le ministère de la Santé m'a envoyé promener, on m'a accusé d'être allé trop loin », nous confie-t-il.  

Notes catastrophiques aux ECN

Chaque année pourtant, davantage d'internes ayant démarré leur cursus en Union européenne prennent un poste d'interne en France. Ils étaient 227 en 2014, 296 en 2015 et 419 en 2016 ! Or, selon les résultats de deux études menées par « la Presse médicale », « les candidats à diplôme européen ont eu des notes assez catastrophiques aux ECN, avec une note moyenne par dossier de 18 à 36 sur 100 ». En 2014 et 2015, moins de 10 % atteignaient la moyenne générale de 500 points sur 1 000, relate la revue.

« Cette situation est connue depuis plusieurs années mais les alertes successives n'ont conduit à aucune mesure corrective », s'insurge aussi le Pr Jean Doucet, responsable du service de médecine interne au CHU de Rouen, pour qui il devient urgent de repenser l'admission en 3e cycle des études médicales. L'ancien directeur adjoint de la pédagogie à la faculté de Seine-Maritime réclame l'instauration d'une note seuil aux ECN et d'une épreuve de langue. « Dans aucune autre discipline, on accepterait qu'un professionnel soit retenu avec 10 sur 1 000 à un examen ». Les ECN ont en effet ceci de particulier qu'un candidat qui rendrait copie blanche à l'ensemble des épreuves serait tout de même classé et autorisé à devenir médecin…

Une plaie pour les petits hôpitaux 

Certains services d'hôpitaux périphériques, choisis en dernier par les internes, pâtissent de ce laxisme. Cela avait été le cas de Villeneuve-Saint-Georges, il y a un an. Le Dr Marie-Odile Lemaître, en médecine interne à Juvisy (Essonne), en a également été témoin. Elle a dû invalider au semestre dernier quatre des huit internes de son service, qui venaient des facs roumaines de Cluj et Iasi ! « C'était une véritable catastrophe, ces gens avaient à peine le niveau d'un externe, ils ne savaient pas examiner un patient. » Mais l'ARS ayant abandonné les stages de remise à niveau, le médecin a dû garder ces internes dans son service jusqu'au bout… « Ils étaient plus un poids pour le service qu'une aide ».

Le médecin a même accueilli en stage un interne italien qui avait passé les ECN, et ne savait pas parler français. Il est reparti au bout de deux mois. « Penser que ces internes seront un jour médecin avec un diplôme français me fait peur », poursuit le Dr Lemaître. Elle regrette l'inertie des tutelles alors qu'il y a, selon elle, une urgence de santé publique : « Tout le monde parle de ce problème mais personne ne bouge, les autorités ne veulent pas que ça se sache. »

Le Pr Jean-François Bergmann, chef du service de médecine interne à Lariboisière, qui avait accueilli l'an dernier un interne en stage de remise à niveau, regrette lui aussi cet attentisme. « Tout le monde est d'accord pour dire qu'il faut une évolution pour limiter la capacité à s'inscrire aux ECN ou tester la connaissance de la langue. »

Faut-il y voir un signe ? Il y a quelques semaines, les doyens ont réclamé que la validation d'un certificat de compétence clinique (CCC) aux fonctions d'interne soit adossé aux épreuves classantes nationales (lire ci-contre).

Le ministère incompétent

L'Ordre des médecins soutient l'initiative des doyens. « L'université doit être capable de certifier la compétence des diplômes qu'elle fournit, confie son président le Dr Patrick Bouet. Aujourd'hui, il y a une différence entre l'acquisition des connaissances et l'acquisition des compétences. »

Même les étudiants et internes sont prêts à cette évolution. « Pour rentrer dans le 3e cycle, tous les internes devraient passer le CCC. Ce certificat démontrerait que les candidats ont le niveau suffisant pour occuper un poste d'internat », explique Quentin Hennion-Imbault, vice-président de l'ANEMF chargé des études médicales.

Malgré les alertes, les pouvoirs publics ne bougent pas. Contactée par « le Quotidien », la Fédération hospitalière de France (FHF) n'a pas répondu sur ce sujet sensible. Le ministère de la Santé se réfugie derrière Bruxelles. « Tout étudiant qui a validé son deuxième cycle des études médicales dans un état membre de l’UE peut accéder au 3e cycle dans un autre état membre de l’UE », nous indique-t-on. Autrement dit, circulez, il n'y a rien à voir.

Christophe Gattuso

Source : Le Quotidien du médecin: 9552