La grippe sévit en hiver… ou de l'inconséquence de la politique de santé actuelle

Publié le 20/02/2017
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Alors que 100 000 lits d’hospitalisation ont été fermés depuis 10 ans, la loi de modernisation de notre système de santé Touraine annonce au printemps 2016 la fermeture de 16 000 lits d'hôpitaux et la suppression de 22 000 postes supplémentaires, c'est-à-dire 10 % des lits en chirurgie et médecine actuellement disponibles.

Nos gouvernants s'aperçoivent en décembre que la grippe sévit l’hiver ! De sorte que le ministère, via les ARS, a engagé une procédure « établissements en tension » depuis le mois de janvier 2017. La procédure, qui se déroule en deux phases, prévoit, puisqu'il va falloir peut-être accueillir les patients souffrant de grippe :

- le retour à domicile anticipé des patients hospitalisés, pour fluidifier la gestion des lits d’aval d’urgence ;

- puis la déprogrammation des hospitalisations et interventions chirurgicales programmées…

En résumé, il appartient aux structures de soins et aux soignants de gérer la pénurie, puisqu'il y a moins de lits, au détriment de la santé des malades hospitalisés pour d'autres raisons.

Potentielle perte de chance

Dans mon service hospitalier, nous avons été dans l’obligation, dans ce cadre, de reporter des soins de cancérologie, parmi les 16 malades reportés dans les 15 jours écoulés. Lorsque l’on connaît le mauvais pronostic de certaines tumeurs urologiques, il devient évident que cette procédure « hôpital en tension » pourrait potentiellement être responsable d’une perte de chance ultérieure chez le patient.

Nous franchissons en ce début 2017 un palier supplémentaire dans l’irrationalité, que nous devons dénoncer : le gouvernement ne veut pas prendre le risque d'être critiqué sur la gestion de la grippe 2016 ! Pour cela, il fait supporter un risque au patient (non grippé), ce qui est intolérable.

En d'autres termes le gouvernement mérite d'être soigné, mais pas le citoyen français non grippé !

Nous avions pourtant signalé que tailler ainsi dans le nombre de lits des hôpitaux et le ratio des personnels soignants est inacceptable, inéquitable et dangereux :

Inacceptable : parce que certaines régions sanitaires sont en déshérence.

Inéquitable : car les structures de soins les plus vertueuses ont été les plus pénalisées et que de ce fait leurs projets n’ont pas été réalisés ni réalisables.

Dangereux : nous y sommes…

Il en vient quelques remarques de bon sens :

1. Les soignants sont redevables d’une activité minimale que chacun d’entre nous s’efforce d’augmenter d’année en année, en vertu de la rentabilité imposée. Ces reports de malades vont affecter l’activité. Espérons que ce ne sera pas l’occasion d’une nouvelle réduction de lits dans 6 mois !

2. les incitations récentes au développement de la chirurgie ambulatoire n’ont à aucun moment été accompagnées des mesures d'aval qui auraient permis une prise en charge adaptée au retour à domicile. Aucune mesure visant à compenser la réduction du nombre de lits d’hospitalisation n’a, non plus, été prise.

3. On rappelle que la grippe peut être grave. Mais si elle tue tous les ans, l'immense majorité des cas peut être prise en charge par le médecin généraliste au domicile.

4. Si les vaccinations sont insuffisantes sur notre territoire, c'est qu'à trop atermoyer depuis 10 ans, le doute s'est installé, puis s'est ancré.

5. Partout en France, les urgences sont le lieu d’un délire de consommation médicale depuis 10 ans. Faute d’alternative aux soins, faute de maisons de santé en nombre suffisant, en raison d’une inégalité importante dans l’accès aux soins, s’y pressent en foule nombre de malades, qui sont irrités par l’attente et qui harassent les médecins.

La clarification de la demande vis-à-vis de l’urgence est plus que jamais essentielle afin de mieux réguler les flux de malades et remettre à sa juste place la médecine de proximité :

- Qu’est ce que l’urgence en médecine, celle qui met en danger la vie d’autrui ? Ou celle qui pousse à vouloir consulter son médecin à 22 heures pour un simple mal de gorge parce que l’on veut être frais et dispos le lendemain matin… Cette notion élargie de l’urgence pose problème, car elle déborde notre système de soins. Et de ce fait, le nombre de lits devient insuffisant, puisqu’en 30 ans, 1 lit sur 4 a été fermé.

- Le problème du vieillissement de la population n’a pas été anticipé ni réfléchi. Notamment, les appels aux SAMU et SMUR émanant des EHPAD contribuent à engorger les services d’urgence.

La société doit répondre à la question : « Quelles urgences pour les Français dans 5 ou 10 ans ? »

Avant de proposer la réponse, il faut retenir que :

- L’INVS signale 70 % de troubles sans gravité aux urgences. Sur 100 malades y consultant, seuls 20 seront hospitalisés.

- 20 % des entrées sont inappropriées, relevant de personnes déstructurées qui n’ont pas les moyens de consulter un médecin ou sont isolées.

- L’hospitalisation à l’urgence coûte trois fois le prix d’une consultation normale au cabinet du médecin traitant. Cette hospitalisation est sans limite puisque prônée par le ministère de la Santé pour des urgences « ressenties ».

- La régulation par le 15 est imparfaite, car l’information et l’éducation incitant la population à ne l’utiliser qu’à bon escient ont été insuffisantes.

L’afflux de malades hospitalisés aux urgences déséquilibre l'activité des hôpitaux. Il faut hospitaliser le lendemain les malades dans les services, même s’il s’agit d’urgences médico-sociales. Sont alors utilisés à mauvais escient les lits disponibles, dans n’importe quel service qui en offre. De sorte qu’à terme, les services deviennent les « déversoirs » des urgences et augmentent d’autant les délais de soins pour les patients relevant d’une spécialité. Veut-on d’un hôpital qui soit l’antichambre de l’urgence ?

Ce qui se joue ici, c’est une certaine façon d’exercer la médecine. C’est la destruction d’une médecine de l’individu, au profit d’une industrie de santé administrativo-financière. Nous ne pouvons l'accepter. Le soin doit rester la préoccupation essentielle du médecin. Il en va de la qualité de notre système de santé.

Gouverner c'est prévoir…

* PU-PH Lille-2, Secrétaire nationale du Parti Radical à l’autonomie, aux personnes handicapées et aux personnes âgées

Par le Pr Brigitte Mauroy*

Source : Le Quotidien du médecin: 9557