Au cœur de la contestation guyanaise

Le centre médico-chirurgical de Kourou : autopsie d'un gâchis

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Publié le 18/04/2017
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ManifKourou

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Crédit photo : AFP

Selon un rapport du cabinet d'expertise SECAFI dont « le Quotidien » a eu une copie, le centre médico-chirurgical de Kourou accusait en 2015 un déficit de 10,3 millions d'euros.

Cette situation a conduit la Croix-Rouge à dévoiler, le 6 mars dernier un projet de vente pour 1 euro symbolique du centre au groupe Rainbow Santé. L'annonce met rapidement le feu aux poudres, et constitue un des moteurs du blocage du département d'outre mer mené par le collectif « Pou Lagwiyanne dékolé ». La vente serait en effet contraire aux engagements pris par la Croix-Rouge lors de l'achat de l'établissement en 2004, également pour un euro symbolique. Une clause du contrat engageait en effet l'association à ne céder le CMCK qu'au secteur public ou à une association à but non lucratif poursuivant le même but que la Croix-Rouge. Les médecins du centre interrogés par « le Quotidien » craignent par ailleurs que la recherche de rentabilité du nouveau propriétaire aboutisse à un démantèlement de l'offre de soins.

Un passage au public loin d'être évident

Après quelques semaines de blocage, la ministre des Outre-mer, Ericka Bareigts, confirme l'abandon du projet de rachat « en faveur d'un projet de service public ». Une déclaration qui laisse dubitatif au CMCK : lors d'une réunion organisée par l'agence régionale de santé (ARS) de Guyane le 13 mars 2017, le directeur général de l'agence Jacques Cartiaux a considéré qu'une reprise du centre par le service public n'était « pas envisageable ». Contacté par « le Quotidien », le directeur de l'ARS n'a pas souhaité s'exprimer d'avantage, devant respecter une « période de réserve ».

« Nous considérons toujours que le projet de vente était bon, défend Jean-Christophe Combe, directeur général par intérim de la Croix-Rouge française. Rainbow santé est un groupe sérieux, implanté localement, qui mène des missions d’intérêt public. Il était prêt à investir, à mener un éventuel plan social dans de bonnes conditions, car le groupe a la possibilité de redéployer le personnel dans ses activités sur le territoire guyanais. »

Les ravages de la T2A

Comment en est-on arrivé là ? Lors de l'acquisition des locaux par la Croix-Rouge en 2004 (le personnel était déjà sous la responsabilité de l'association) le CMCK dispose d'un « trésor de guerre » de 20 millions d'euros, qui va fondre à partir de 2010, et du début de la transition progressive vers une tarification à l'activité (T2A) qui va sévèrement étriller les comptes.

Sous l'effet de la T2A, le financement théorique par l'ARS du CMCK est passé de 30,5 millions en 2009 d'euros à 19,2 millions en 2010. Le budget est certes rétabli via un coefficient de transition de 40 %, mais ce dernier baisse de 5 % par an avec une disparition programmée pour 2018. En 2015, la baisse du coefficient de transition est responsable à elle seule de 1,1 million d'euros de perte de l'établissement.

Une part de responsabilité pour la direction

Pour plusieurs sources proches du dossier, la T2A n'est pas seule responsable pointent également des erreurs de gestion. Une saisine du comité de suivi d'établissement de mai 2016 accuse la Croix rouge d'avoir mal préparé le passage à la tarification à l'activité. La même saisine manifeste son incompréhension concernant les 13 équivalents temps plein occupés au siège de la Croix Rouge pour gérer des payes. « J'ignore d'où sort ce chiffre conteste Jean-Christophe Combe, un seul référent est chargé de s'occuper des paies à notre siège ».

Le personnel du centre du centre accepte en effet mal l'augmentation des frais de siège réclamés par la Croix-Rouge constatée dans le rapport SECAFI, à hauteur de 1,88 million en 2015, soit 4,1 % des recettes. « La Croix Rouge n'a pas versé un centime lorsque nous étions au budget global, elle s'est servie jusqu'à ce que les fonds propres soient épuisés », s'indigne auprès du « Quotidien » un médecin du centre.

Une accusation repoussée par Jean-Christophe Combe : « Nous avons investi 19 millions d’euros dans le centre et injecté 20 millions sur 4 ans pour absorber les pertes, affirme-t-il. Le CMCK représente à lui seul les 2/3 de notre déficit d’exploitation annuel. »

19 départs de médecins

Après avoir tenté des mesures de redressement, et notamment rendu le service de cardiologie entièrement ambulatoire, Christophe Hackett démissionne en février 2016. Un bras de fer s'engage entre un médecin urgentiste nommé directeur, le Dr Olivier Kleitz, et la commission médicale d'établissement (CME), qui aboutit en été à l'arrêt du fonctionnement de cette dernière et au licenciement de sa présidente. La direction entreprend en outre la remise en cause d'une série d'avantages conventionnels : diminution du paiement des astreintes, les billets d’avion accordés pour retourner en métropole et une 6e semaine de congés payés. Des avantages qui représenteraient 10 % de la masse salariale selon la Croix-Rouge.

La grève qui suit ces annonces débouche sur le départ du Dr Kleitz remplacé 2 mois plus tard par Laurent Raigneau. En attendant que se poursuivent les négociations, la situation se dégrade : sur 40 équivalents temps plein, 19 médecins sont partis en un an et demi. « Il n'est pas possible de les remplacer car nous ignorons quel sera le statut de l'établissement dans quelques mois », déplore un des médecins du centre.

Damien Coulomb

Source : Le Quotidien du médecin: 9573