Le CHU de Pointe-à-Pitre en situation d'« urgence sanitaire » selon son personnel

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Publié le 07/03/2018

« Cinq de mes confrères souffrent de nausées, de vomissements, d'atteintes neurologues visibles à l'IRM, de tremblement et de céphalées, sans compter quelques prurits et lésions cutanées… Nous sommes dans un véritable scandale sanitaire. » Jointe par téléphone par le « Quotidien », le Dr Mona Hedreville, cardiologue au CHU de Pointe-à-Pitre, contient difficilement sa colère. Plus de 3 mois après l'incendie* qui a fortement endommagé l'hôpital (dont le déroulement, et les conséquences ont été relayés par Diane, interne au CHU de Pointe-à-Pitre et blogueuse sur lequotidiendumedecin.fr), la décision de la direction de l'établissement de réinstaller plusieurs services dans les locaux a remis le feu aux poudres.

En 48 heures, une dizaine de membres du personnel ont fait l'expérience de troubles possiblement liés à la présence de polluants dans l'air, soulevés par la reprise de travaux la semaine dernière. Une vingtaine d'autres membres du personnel ont exercé leur droit de retrait, mais ont poursuivi le travail. Pour le Dr Hedreville la situation est bien résumée par un de ses patients : « il n'y a rien de plus terrible que de voir le désespoir dans les yeux du soignant ».

Selon le collectif de défense dont le Dr Hedreville a pris la tête, « aucune mesure de confinement n'a été prise, et les milliers de litres d'eau utilisés par les pompiers ont provoqué l'apparition de moisissures dans les chambres. Du monoxyde de carbone est enfermé dans les gaines, et la ventilation a été arrêtée suite aux premiers malaises », énumère-t-elle.

Le service de diabétologie fermé

Particulièrement touché, le service d'endocrinologie et diabétologie a fermé ses portes, les patients hospitalisés ont été transférés dans plusieurs autres services. « Nous avons eu les premières plaintes il y a 15 jours, quand l'établissement a commencé des travaux dans un local voisin touché par le sinistre », explique le Dr Claude Gruel, endocrinologue diabétologue, qui ne cache pas son inquiétude : « Sur les 5 praticiens hospitaliers, 4 sont en arrêt maladie, dont 3 présentent des signes neurologiques : ataxie, syndrome pyramidal et syndrome cérébelleux. Nous avons tous des irritations de la gorge, des céphalées et des signes digestifs. On a même retrouvé une assistante en état de stupeur », relate-t-il.

« C'est une solution dramatique, dans notre île où près de 10 % de la population est diabétique », se désole le Dr Hedreville qui pointe du doigt « une gestion calamiteuse de la crise : nous n'avons pas été déclarés en accident du travail le jour de l'incendie, et n'avons donc été ni examinés ni prélevés. Afin d'avoir une salle de déchoquage, ils ont pris la seule salle de coronographie de l'île. Nous avons reçu 2 blocs opératoires mobiles, mais ils étaient vides ! »

Des solutions de délocalisation externe

Pour l'heure, les 12 blocs opératoires du CHU sont inopérants, le matériel de la maternité va devoir délocaliser pendant au moins un an. Les urgences sont assurées dans la clinique privée Les Eaux Claires. Par ailleurs, la réanimation et les urgences cardiologiques ont été transférées à la clinique privée des Eaux Claires. Le service de gynécologie est lui aussi installé dans une polyclinique privée, tandis que les services de pédiatrie et de cardiologie sont installés à Basse-Terre. Enfin, l'hôpital de campagne de la sécurité civile ESCRIM (Élément de sécurité civile rapide d’intervention médicale) a été déployé. Une première dans un territoire français.

Le collectif préconise l'évacuation des tours nord et sud du CHU afin de permettre leur assainissement et des travaux de remise aux normes. Pour ce faire ils proposent d'utiliser des 265 lits du nouveau centre hospitalier gérontologique du Raizet ainsi que les espaces laissés libres dans l'hôpital de Capesterre-Belle-Eau. Lors d'un déplacement dans l'île, la ministre des Outre-mer Annick Girardin a annoncé samedi soir avoir « suspendu » la décision d’une délocalisation partielle du CHU de la Guadeloupe, après un entretien avec le collectif.

Une réunion s'est tenue mardi matin entre les personnels médicaux et des représentants de l'ARS Guadeloupe, suivi d'une autre ce mercredi du comité de surveillance du CHU. « La situation est compliquée, il n'y aura pas de solutions proposées dans l'immédiat », nous assure-t-on à l'ARS qui verra bientôt arriver une nouvelle directrice générale : le médecin militaire Valérie Denux** qui succède à Patrice Richard.

* Selon un rapport d'expertise à la demande du Parquet l'incendie serait dû à un mégot de cigarette.

Un médecin** militaire à la tête de l'ARS Guadeloupe

Le ministère des solidarités et de la santé a confirmé mercredi soir dans un communiqué la nomination du Dr Valérie Denux, médecin militaire, au poste de directrice générale de l'agence régionale de santé de Guadeloupe. Dans un contexte de crise au CHU de Pointe-à-Pitre et de gestion des conséquences des ouragans qui ont dévasté les îles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy.

Par cette nomination, le ministère des Solidarités et de la Santé souhaite « impulser une nouvelle dynamique de réponse aux besoins de la population guadeloupéenne ». Placée depuis 3 ans auprès du secrétariat général des ministères sociaux, le Dr Denux était chargée du rapprochement entre le service de santé des armées et les acteurs de santé. Elle était par ailleurs chargée du volet santé de la radicalisation, auprès du secrétariat général des ministères sociaux. Elle succédera à Patrice Richard, qui assurait ces fonctions depuis plus de quatre ans, et prendra ses fonctions à compter du 15 mars 2018.


Source : lequotidiendumedecin.fr