Près de 220 000 femmes par an sont victimes de violences (physiques et/ou sexuelles) de la part de leur conjoint ou ex-conjoint et 149 féminicides ont été recensés en 2019. Un constat dramatique.
La récente analyse des 88 féminicides survenus en 2018 révèle que 65 % des victimes étaient connues de la justice et de la police. L’incapacité des services de police à accueillir et à instruire les plaintes est évidente, 80 % ayant été classées sans suite. Autre constat : l’absence d’utilisation des dispositifs de protection, une seule ordonnance de protection ayant en effet été proposée.
Face à ces féminicides, à la demande d’associations, un « Grenelle » a été mis en place en septembre. Les attentes étaient importantes. Trois réunions de 2 heures par département ont été organisées, avec des groupes de travail, dans lesquels peu de médecins ont été invités, aucun généraliste, et encore moins de médecins militants associatifs, malgré leur demande.
Une mesure simpliste, paternaliste et dangereuse
Parmi les recommandations proposées, certaines sont intéressantes. Une nous concerne, nous médecins : la levée du secret médical pour les praticiens rencontrant une femme victime de violence qu’ils estiment en « situation de danger et sous l’emprise de son conjoint ». Il nous est donc recommandé le signalement aux autorités judiciaires sans l’assentiment de la femme victime. L'intention est bonne, mais la mesure simpliste, paternaliste et dangereuse.
Cette fausse bonne idée émane de personnes qui méconnaissent le suivi, le vécu, l’histoire des femmes victimes de violences, l’emprise, le psycho traumatisme et l’importance de la confidentialité obligatoire et nécessaire à la relation médecin-patient. Elle remet en question le fondement du soin, la confiance, le droit des patients et le devoir des médecins.
Elle est, non seulement dangereuse, mais aussi contre-productive, car elle risque d’éloigner de nos cabinets médicaux les femmes victimes qui ne révéleront plus les violences qu’elles subissent. Elles empêcheront les praticiens de les repérer, de les accompagner et de les orienter vers les réseaux de prises en charge.
Pour la Secrétaire d’État à l’Égalité cette mesure « doit mettre tout le monde face à ses responsabilités. » En réalité, elle ne fait que déplacer la responsabilité des services de l’État – inefficaces dans la protection des victimes — sur le corps médical !
Les vrais problèmes ne sont pas résolus
Mais les vrais problèmes demeurent. Combien de victimes, convaincues de porter plainte, n’ont-elles pas été protégées au sortir du commissariat ? Combien d’hommes violents ne sont toujours pas soumis à des mesures d’éloignement ? Combien de femmes avec leurs enfants ne peuvent toujours pas bénéficier d’hébergements d’urgence ?
On est face à une véritable problématique sociétale et de santé. Lever le secret médical détruira la confiance des victimes. Elles risqueront d’être encore plus isolées et n’auront plus de soutien ni d’accompagnement médical de peur d’être signalées.
C'est regrettable, alors qu’enfin la connaissance progresse (en témoigne la récente recommandation de l’HAS sur le repérage) et que nos confrères sont de plus en plus au fait de l’impact sur la santé des violences et sensibilisés aux tableaux cliniques écrans et aux signes du psycho traumatisme. Est enfin reconnu le temps nécessaire à la patiente pour comprendre les violences, la stratégie de l’agresseur et que la victime redevienne auteure de sa vie et puisse porter plainte, accompagné par son médecin et le réseau associatif. Attention ! Cette récente proposition peut les en empêcher et amener le praticien non formé à ne pas respecter la décision et le temps de la patiente.
Droit du patient, devoir du médecin
Le secret médical est un droit du patient et une obligation déontologique. C’est de notre devoir de médecin de respecter la volonté des patientes, même si notre vision des choses est différente, d’écouter, de soutenir, d’informer, d’accompagner et de tout faire pour les aider à prendre la meilleure décision pour elles, celle qu’elles choisissent. Parallèlement, c’est le devoir des autorités de protéger la victime, de reconnaître, d’éloigner et de condamner les coupables.
Que nos confrères chirurgiens plasticiens, inquiets de leur incapacité à protéger, soient rassurés. Notre code de déontologie précise déjà des dérogations en cas de constat de danger vital immédiat sur personne vulnérable. Le Collège de la Médecine générale et le Conseil national de l’Ordre rappellent aussi que la loi nous permet déjà de faire notre travail en toute sécurité en particulier pour les victimes en situation d’extrême urgence. L'Ordre demande que cette disposition ne s’applique qu’en cas d’urgence vitale immédiate, et qu’elle soit renforcée par la désignation d’un procureur de la République dédié aux violences conjugales, qui pour l’heure, n’existe pas ! Ce faisant, il précise que cela n’entraînera pas de modification du code de déontologie.
Alors pourquoi une telle modification proposée ? Elle est contre-productive ! Elle évite de parler des mesures attendues : instructions systématiques des plaintes, éloignement des conjoints violents, systématisation des ordonnances de protection, suspension de l’autorité parentale du conjoint violent, protection des victimes dans des lieux sécurisés et spécialisés, évaluation régulière des politiques pénales et civiles, formations des juges, policiers et de tous les intervenants. Il faut aussi des moyens à la hauteur : entre 500 millions et 1 milliard, selon le HCEFH.
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