Adoption définitive de la loi sur la prostitution

Les associations s'alarment pour la santé des prostitué(e)s

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Publié le 11/04/2016
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Crédit photo : AFP

La France est le cinquième pays européen à pénaliser les clients de prostitué(e) s (entre 1 500 euros l'amende et 3 750 euros en cas de récidive).

Malgré 2,5 ans de parcours législatif et l'épuisement des navettes entre Assemblée nationale et Sénat, la proposition de loi socialiste n'a obtenu qu'un fragile consensus. En témoigne le nombre de députés qui ont voté le 6 avril : 87, dont 64 pour, 12 contre et 11 abstentions.

La ministre de la Santé Marisol Touraine a salué « une grande avancée pour les femmes et l'égalité ». « La France affirme avec force que l'achat d'actes sexuels est une exploitation du corps et une violence faite aux femmes », a déclaré la ministre des Droits des femmes Laurence Rossignol. Les abolitionnistes comme le mouvement du nid, Osez le Féminisme, ou le haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE), applaudissent. « La honte change de camp », grâce à la suppression du délit de racolage instauré par la loi sur la sécurité intérieure de 2003, et la pénalisation des clients, analyse le HCE.

Mais c'est une tout autre tonalité que font entendre les associations de la santé, comme Act Up Paris, Aides, Le planning familial, Médecins du monde, Grisélidis et Cabiria.

Isolement et danger

Si la suppression du délit de racolage est reconnue comme une avancée, sur le terrain, la pénalisation du client en anéantit tout bénéfice, en reléguant les prostitué(e) s à l'invisibilité et à l'isolement avec pour conséquence une exposition accrue aux violences ou aux pratiques sexuelles à risque, argumentent MDM et Aides, joints par le « Quotidien ».

Les effets se font déjà ressentir. « À Avignon, les prostitué(e) s viennent moins nous voir et ne parlent que de leurs craintes et des rapports à risque. Beaucoup ont subi de la violence sans oser porter plainte - car depuis la LSI, les forces de police sont assimilées aux amendes et politiques répressives », rapporte Théau Brigand, chargé du plaidoyer accès aux droits à Aides.

« À chaque médiatisation de la loi, les femmes nous disent qu'elles n'ont plus de clients ou seulement les plus pénibles et dangereux. Certaines se tournent vers Internet. Mais maîtrisant mal l'outil informatique ou le français, elles font appel à des intermédiaires qui les contrôlent et s'accaparent une grande partie de leur revenu », décrit Tim Leicester, coordinateur du Lotus Bus de MDM.

160 euros pour sortir de la prostitution

Le « parcours de sortie de la prostitution et d'insertion sociale et professionnelle », financé par un fonds de 4,8 millions d'euros, laisse sceptiques les associations. Rapporté au nombre estimé de prostitué(e) s, 30 000, le budget revient à 160 euros par personne par an. « Ce n'est pas avec cela qu'on aide une personne à se réinsérer. Cela relève plus du symbole que d'une politique sociale » dénonce Tim Leicester.

Ce parcours, qui ouvre la voie à la délivrance d'un titre de séjour de 6 mois, est conditionné à l'engagement d'arrêter la prostitution, dont les associations doivent se porter garantes. « Cela nous pose un problème éthique : nous n'avons pas à avoir un rôle de contrôle social » poursuit le responsable de MDM, qui s'attend en outre à des pratiques différentes selon les préfectures.

Et d'alerter sur la période extrêmement délicate qui s'ouvre, entre l'entrée en vigueur de la pénalisation des clients - dès promulgation de la loi au JO - et la parution plus lointaine des décrets formalisant le parcours. « Les prostitué(e) s auront une baisse de revenus, sans aucune alternative », souligne Tim Leicester.

Les associations militent pour un soutien véritable à la réduction des risques et appellent à la fin de la criminalisation de la prostitution (à ne pas confondre avec sa réglementation). « Ces personnes doivent être protégées contre l'exploitation, la traite, les violences, la précarité par le droit commun, sans être enfermées dans un statut à part » conclut Tim Leicester. 

Coline Garré

Source : Le Quotidien du médecin: 9487