« Verdun terre de santé »

Les héritages médicaux de la Grande Guerre

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Publié le 28/11/2016
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VERDUN 3

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Crédit photo : MEMORIAL DE VERDUN

VERDUN 1

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VERDUN 2

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Première guerre véritablement « mécanique » et industrielle, dépassant par son ampleur tous les conflits précédents, la Grande Guerre força les médecins à repenser toutes leurs stratégies, et vit l'apparition de nouveaux types de traumatismes et de blessures, tant physiques que psychiques.

L'artillerie, par sa puissance, ne se contente plus de labourer le terrain et les corps, mais bouleverse aussi l'esprit et la raison. Comme l'explique le Dr François-Xavier Long, ORL à Verdun et cheville ouvrière de ces deux journées, de nombreux concepts apparus pendant la Grande Guerre ont retrouvé le devant de l'actualité depuis les attentats de Paris en 2015, comme la constitution de chaînes de secours, et la prise en charge médicale et psychologique avancée et précoce. De plus, les urgentistes « sont devenus eux aussi des cibles », a rappelé un débat sur « le champ de bataille intérieur » réunissant médecins généraux du Service de santé des armées (SSA) et médecins du SAMU de Paris et de la Meuse. La protection des soignants eux-mêmes, comme l'irruption d'une traumatologie de guerre en pleine ville, amène dès à présent médecins civils et militaires à renforcer leurs synergies et leur complémentarité, sans pour autant renier leurs spécificités.

Dans la boue de Verdun

Les rencontres historiques du colloque ont montré comment la médecine moderne a émergé de la boue de Verdun, résume le Dr Jean-Jacques Ferrandis, médecin en chef auteur de nombreux ouvrages sur le sujet : « les bases médicales, le triage et l'évacuation se perfectionnent à Verdun, parfois à partir d'exemples plus anciens, mais toujours dans une optique d'adaptation aux situations nouvelles », rappelle-t-il à l'issue de sa présentation du dispositif hospitalier installé tout autour du champ de bataille.

Chirurgie réparatrice

Symbole effrayant de la violence des combats, aggravée par la puissance des armes produites en quantité industrielle, les blessures au visage, par balles et surtout par éclats, représentent à elles seules 15 % de toutes les blessures. Elles et se révèlent particulièrement mutilantes, d'autant que les médecins, au début du conflit, n'y sont absolument pas préparés. La chirurgie réparatrice du visage naît dans l'urgence de la guerre, à partir des échanges d'expériences des chirurgiens sur le terrain, avec des méthodes nouvelles dont certaines, comme les greffes, seront toutefois mises à mal par l'insuffisance des traitements antiinfectieux. Par ailleurs, c'est au lendemain de la guerre que naît la Fondation des blessés de la face, les « Gueules Cassées » qui jouera un rôle majeur pour le soutien et l'aide aux victimes, souvent abandonnés de tous. En inventant la Loterie nationale au lendemain du conflit, puis beaucoup plus récemment le Loto, les Gueules Cassées se sont assuré une source confortable de revenus qui leur permettent, aujourd'hui encore, de venir en aide aux blessés et de soutenir la recherche en chirurgie maxillo-faciale.

Autre avancée majeure issue de la guerre, le nettoyage et la désinfection des plaies souillées ont permis de sauver des milliers de soldats, abondamment badigeonnés de Dakin, antiseptique mis au point en 1915 par le chirurgien britannique qui lui laissa son nom. De même, la chirurgie des membres effectue de grands progrès pendant le conflit, au point qu'une fracture du genou, mortelle en 1914, n'empêche plus, à la fin de la guerre, le blessé de recommencer à marcher.

Élément essentiel de la prise en charge psychique des victimes de catastrophe, les cellules d'urgence médico psychologique, basées sur une intervention immédiate, trouvent elles aussi leur lointaine origine dans les combats de la Grande Guerre, a rappelé le Médecin Général Louis Crocq en soulignant l'identification, dès 1917, des grands principes d'action que sont l'immédiateté, la proximité, l'espérance de guérison, la simplicité et la centralité. Aujourd'hui, la psychiatrie militaire met l'accent sur le repérage et l'intervention précoce avec, depuis quelques années, la possibilité pour tout militaire de contacter à tout moment un psychologue si lui ou sa famille en éprouve le besoin.

Premières prothèses articulées

Autre héritage de l'époque, les premières prothèses articulées de membres, d'abord en bois et en cuir, renforcées d'alliages métalliques, tentent de redonner aux amputés les moyens de retrouver une vie sociale et professionnelle. Lourdes et complexes, elles s'affineront progressivement au fil du temps, jusqu'aux futuristes prothèses bioniques qui, malgré leur coût encore très élevé, sont amenées à se généraliser dans les années à venir.

Parallèlement aux sessions de travail, les participants ont pu voir ou revoir les hauts lieux du site de la bataille, dont, outre l'exposition du Mémorial de Verdun sur l' histoire des secours aux blessés, des vestiges de postes de secours et un ancien abri destiné aux blessés. Enfin, une cérémonie commémorative a réuni participants civils et militaires à l'emplacement du village détruit de Louvemont, où le Dr Long a rappelé à tous ses confrères qu'avec ou sans uniforme, ils sont tous unis par le même serment d'Hippocrate.

Denis Durand de Bousingen

Source : Le Quotidien du médecin: 9538