Thème phare de la dernière présidentielle, les « déserts médicaux » reviennent sur le devant de la scène à l’occasion de cette rentrée. Il faut convenir que le constat ne souffre guère de discussion et qu’il est, à bien des égards, alarmant : proportion grandissante de territoires considérés comme sous-dotés (et plus uniquement les espaces ruraux), d’assurés sans médecin traitant, de rendez-vous dont les délais s’allongent… Et les projections démographiques qui laissent à penser que les difficultés vont se poursuivre jusqu’en 2030 au moins.
Mais si le constat est partagé, les solutions à mettre en œuvre à court, moyen ou plus long terme ne font pas toujours l’unanimité, les positions semblent parfois bien tranchées et les oppositions stériles. Le temps est venu de construire une compréhension commune du phénomène et d’identifier les leviers à notre disposition en conséquence. Avec mon regard d’économiste, chercheur appliqué au champ de santé, et une certaine expérience sur ce sujet avec mes collègues, voici quelques grands constats et enseignements (les faits sont parfois têtus) qui me paraissent utiles au débat, en espérant ne pas prêcher… dans un désert.
Les inégalités de répartition des médecins si elles sont aujourd’hui particulièrement frappantes sont en fait anciennes et consubstantielles à la relation entre l’offre et la demande de soins. L’offre peut en partie influencer la demande et cette situation est exacerbée lorsque le mode principal de rémunération est l’acte. Dès lors, dans le cadre de la liberté d’installation, aucune main invisible ne va conduire une nouvelle localisation de médecin là où il y a le plus de besoins. Ceci explique aussi pourquoi il ne suffit pas de former un nombre plus important de médecins, de « saturer » l’offre dans les territoires attractifs et concurrentiels, pour que cela conduise naturellement les médecins à s’installer dans les territoires moins attractifs, mais aux perspectives de revenu favorables. Il ne suffit pas, non plus, de déployer des incitations financières individuelles, mobilisées au-delà du raisonnable sans évaluation probante de leur impact, puisque l’espérance de revenu est déjà plus importante dans les territoires sous-dotés et moins concurrentiels, sans que cela constitue une incitation suffisante.
La mise en place de la limitation à l’installation dans les zones « sur dotées », voire de la coercition à l’installation dans celles sous-dotées, ne constitue-t-elle pas dès lors la solution ? Sans même questionner la difficulté à remettre en cause ce totem de l’exercice libéral, il faudrait nous expliquer les effets à en attendre à court terme, sachant la taille des flux de formation dans les années à venir relativement au nombre de zones aujourd’hui sous-dotées. Il faudrait aussi nous expliquer comment on détermine un territoire sur-doté (y en a-t-il encore du reste ?). Il faudrait enfin nous convaincre des effets à moyen et long terme, du maintien et de la pérennité de ces installations un temps forcées.
Des facteurs favorisant l'installation bien identifiés
Et si nous en revenions aux faits têtus. Il apparaît que ce sont surtout la proximité avec les attaches familiales et les environnements d’origine, le cadre de vie personnel et familial (travail du conjoint, éducation, services, loisirs) et les conditions d’exercice (charge de travail modérée, travail en équipe, etc.) qui s’avèrent être les principaux déterminants du choix du lieu d’exercice. C’est dans cette direction qu’il faut chercher les solutions les plus structurantes, certaines mobilisables dès le court terme.
L’importance de l’environnement d’origine a conduit de nombreux pays à diversifier les origines sociogéographiques des étudiants pour sélectionner les plus enclins à un exercice dans les zones sous-dotées avec un certain succès. L’importance du cadre de vie rappelle aussi combien la politique sanitaire ne peut pas, à elle seule, défaire ou compenser ce que la politique d’aménagement du territoire produit. L’amélioration des conditions d’exercice appelle un approfondissement et une accélération de la réorganisation de la délivrance de soins en premier recours. L’attrait pour l’exercice en groupe et notamment en groupe pluriprofessionnel n’est plus à démontrer et des travaux de recherche ont pu estimer leurs impacts positifs en termes d’amélioration de l’accès aux soins consécutivement à leur déploiement.
Mais il convient de s’engager avec plus de vigueur en faveur de solutions, moins consensuelles. D’une part, celles qui visent à sauvegarder encore plus de temps médical en réfléchissant à de nouveaux métiers, rôles ou fonctions assumés par d’autres professionnels que les médecins, comme les sages-femmes, les pharmaciens, les infirmiers, les masseurs-kinésithérapeutes, les assistants médicaux, etc. La hausse des effectifs de paramédicaux constitue une opportunité évidente et les enseignements des expériences positives conduites à l’étranger doivent nous inspirer et nous inciter à trouver notre propre chemin. D’autre part, devraient être considérés des modes de rémunérations favorisant des tailles de patientèles plus importantes, donc des gains de productivité, comme la forfaitisation où le médecin reçoit un forfait par patient inscrit, indépendamment du nombre de contacts par patient.
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