« 120 Battements par minute », il était aujourd'hui l'épidémie du sida

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Publié le 22/08/2017
120 Battements par minute

120 Battements par minute
Crédit photo : Céline Nieszawer

Années 1990, un grand congrès scientifique. Sauf que la caméra est du côté de militants qui se préparent en coulisses à casser l’ordre et le calme institutionnel. Coup de sifflet ; le groupe s’élance sur scène, criant et jetant des poches de faux sang, allant jusqu’à menotter un responsable.

« 120 Battements par minute », qui sort ce 23 août en salles, raconte cette irruption des patients sur la scène scientifique et politique ; ce débordement des institutions par la bande, par des malades du sida qui risquent leur peau, et dont l’empressement précipite l’Histoire. À l’écran, la caméra de Robin Campillo nous entraîne des réunions d’Act up, entre cours du soir et débats enflammés, aux actions coups de poing (des « zaps ») dans les laboratoires, devant le ministère de la Santé, dans les écoles ou dans la rue pour rompre avec le silence et l’invisibilité. Et dans les interstices de l’Histoire, se tissent des histoires personnelles, d’amitié, d’amour, et du souci de l’autre, notamment entre le tempétueux et radical Sean (Nahuel Pérez Biscayart) et le nouveau venu Nathan (Arnaud Valois).

Le sida a été souvent porté à l’écran, sur tous les tons (on peut citer, en France, « les Nuits fauves » de Cyril Collard, les « Témoins » d'André Téchiné, « Jeanne et le garçon formidable » ou « Théo et Hugo dans le même bateau » d'Olivier Ducastel et Jacques Martineau, « Once more » de Paul Vecchiali). Rares, à notre connaissance, sont les films qui ont pris l’angle du combat militant, en se plaçant (souvent caméra à l’épaule) du côté d’une association de malades.

Et ce parti pris de filmer une communauté, à laquelle les individus sont néanmoins irréductibles, a une vertu (au-delà même du témoignage historique passionnant) : il permet à Robin Campillo de multiplier les points de vue et d’embrasser la complexité de son sujet sans verser dans le manichéisme, l’idéologie, encore moins dans le film à thèse.

Naissance du patient expert

« Le médical, c’est différent, c’est compliqué », dit en substance le président d’Act up, Thibault (Antoine Reinartz). La commission médicale de l’asso – dans laquelle s'était engagé Robin Campillo, arrivé à Act up en 92 – a du mal à recruter. Pourtant, c'est là que se construit une expertise patient. Nausées, vomissements, diarrhées : « J’ai une expertise en effets secondaires », revendique Thibault, immergé depuis 4 ans dans les rapports médicaux. Qui endosse le rôle d’orientation d’un pair, à l’égard du jeune Jérémy, affaibli, en perte de confiance à l’égard de son médecin. Et qui va s’asseoir à la table des négociations, entre l’ANRS et les laboratoires, pour discuter des essais cliniques. Un protocole qui prévoit 16 ponctions des ganglions ? Cela fait tellement mal qu’au bout de la 5e ponction, vous n’aurez plus de participants, rétorque-t-il au médecin de l’industrie pharmaceutique. « J'ai vécu cette scène. Didier Lestrade (fondateur et président d'Act up) voulait absolument que les patients travaillent sur les protocoles en amont », explique « au Quotidien » Robin Campillo. « Devenir expert de sa maladie, c'était alors une tentative assez désespérée : car les copains séropos d'alors avaient l'impression qu'ils travaillaient… pour ceux qui arriveraient après », se souvient-il.

L’industrie pharmaceutique est, elle, au cœur des débats. Melton Pharm (imaginé à partir de 3 laboratoires) va-t-il communiquer aux patients les résultats des essais sur les antiprotéases ou attendre le congrès mondial de Berlin ? C’est une question vitale pour les malades et un combat contre la mort et la montre. Sean, qui reproche aux laboratoires de se faire de l’argent sur le dos des patients, plaide pour le happening (s'introduire dans les locaux de la firme et les souiller de faux sang), à la manière des activistes américains. Sophie (Adèle Haenel) les accuse d’organiser la pénurie et de brandir le spectre du tirage au sort. D’autres prônent le dialogue pour encourager les industriels à accélérer leurs recherches…

Cinéma politique

Que reste-t-il de ces combats aujourd’hui ? L’expertise patient est de plus en plus reconnue et les usagers du système ont leur siège dans les instances, même si d’aucuns n’y voient qu’un strapontin. Les yeux des agences sanitaires accusées par Act up d’ignorer la tragédie, semblent se dessiller et la prévention communautaire se développe. Mais les mentalités sont toujours rétives à voir les invisibles. Pas plus tard que fin 2016, des maires ont demandé le retrait des affiches de Santé publique France ciblées sur la prévention HSH (hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes).

Avec « 120 Battements », le réalisateur ne perd rien de sa fibre politique et militante. Il la sublime en images. Comme celle de la Seine rouge sang. Comme celle du virus tangible sous la pellicule. Comme celles des corps malades, notamment celui de Sean, qui suit sa trajectoire descendante dans la solitude tandis que l’association gagne en consistance. « Voilà à quoi ressemblent les malades du sida, si vous n’en avez jamais vu », dit ce personnage au directeur de Melton Pharm. 35 ans après le début de l'épidémie, Robin Campillo poursuit ce combat pour sortir de l'invisibilité et se constituer en force politique face aux décideurs.

Et l'on peut espérer que cette œuvre, avec toute sa force esthétique, puisse réveiller les consciences les plus indifférentes. « On est dans une période où s'ouvrent des brèches positives et le rapport médecin patient a évolué ; mais il y a aussi des retours en arrière et une absence de volonté politique », s'inquiète aujourd'hui Robin Campillo, choqué de l'absence d'Emmanuel Macron à la conférence de Paris sur le Sida, ou encore du sort réservé aux minorités touchées par le VIH (HSH, mais aussi migrants, prostitués, usagers de drogues, détenus…).

Retrouvez dans l'édition papier du 4 septembre l'interview du réalisateur Robin Campillo.


Source : lequotidiendumedecin.fr