Dans le cancer de l'ovaire avancé

Chimiothérapie hyperthermique intrapéritonéale, des promesses et des questions

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Publié le 18/01/2018
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cancer ovaire

cancer ovaire
Crédit photo : PHANIE

La chimiothérapie intrapéritonéale marque un point dans le cancer de l'ovaire. C'est une technique très particulière qui est mise en avant pour la première fois dans un essai de phase 3 par une équipe de l'Institut du cancer des Pays-Bas : la chimiothérapie intrapéritonéale hyperthermique (HIPEC en anglais ou CHIP en français).

Dans « The New England Journal of Medicine », l'équipe coordonnée par le Dr Willemien van Driel montre que l'ajout, en fin de chirurgie d'intervalle, d'une CHIP (dose unique de cisplatine réchauffé à la température de 40°C) améliore en médiane de 3,5 mois la survie sans progression (14,2 mois dans le groupe avec CHIP et 10,7 mois dans le groupe sans CHIP) et de près de 1 an la survie globale.

La chimiothérapie régionale n'est pas reconnue aujourd'hui dans le cancer de l'ovaire. « Attention, ici dans cette étude néerlandaise, il ne s'agit pas de chimiothérapie intrapéritonéale donnée en situation adjuvante comme cela avait été rapporté il y a quelques années mais d'une chimiohyperthermie intrapéritonéale effectuée en fin d'intervantion chirurgicale », explique le Pr Fabrice Lécuru, chef du service de chirurgie cancérologique gynécologique et du sein à l'hôpital européen Georges Pompidou (HEGP) à l'APHP.

Timide percée de la chimiothérapie locale en France

La chimiothérapie régionale a du mal à percer en France. « Il s'agit de remplacer, le paclitaxel + carboplatine par voie IV par une association de paclitaxel IV et de platine par voie intrapéritonéale, précise le Pr Lécuru. Il faut donc des séances répétées, 6 en général, avec une mise en œuvre complexe. Il faut mobiliser les patients en cours de chimiothérapie, cela nécessite du temps et du personnel, et il y a souvent plus de complications, fibrose, thromboses, douleurs. »

Ce qui explique que peu d'équipes s'y sont mises en France malgré un essai américain positif il y a 10 ans. « De plus, des données récentes présentées l'année dernière en congrès sont discordantes », ajoute le Pr Lécuru. Quant à la CHIP, elle n'est aujourd'hui utilisée que dans le cadre d'essai : « Notre service participe actuellement à un essai de CHIP en situation de récidive dans des tumeurs platine sensibles, indique Fabrice Lécuru. La voie intrapéritonéale permet d'augmenter la dose de cisplatine au contact des cellules ».

Pour l'hyperthermie, le rationnel ne manque pas d'arguments. La chaleur pourrait faciliter la pénétration de la chimiothérapie dans la profondeur du péritoine tout en augmentant la sensibilité du cancer à son effet via une neutralisation de la réparation de l'ADN. « L'hyperthermie a un effet activateur sur l'immunité, poursuit le Pr Lécuru. La chaleur inhibe l'angiogenèse et a, par elle-même, un effet cytotoxique ».

Alors faut-il rajouter désormais en pratique une dose de CHIP dans le cancer de l'ovaire avancé ? Les spécialistes ne vont pas aussi vite. « Ces données ne sont pas prendre brutes », insiste le Pr Lécuru. Dans un éditorial, les Drs David Spriggs et Oliver Zivanovic du Memorial Sloan Kettering Cancer Center à New York ne disent pas autre chose : « Beaucoup de questions restent à propos du traitement évalué dans l'essai (...) Le rôle global de la CHIP dans le traitement du cancer de l'ovaire est encore incertain ».

Deux zones d'ombre

Pour Fabrice Lécuru, il y a deux restrictions principales, « la durée opératoire et la survie sans progression ne sont pas celles qu'on connaît ». La durée de l'intervention chirurgicale était de 3 heures dans l'étude, quand elle est, du double, de 6 heures, en France. « C'est un paramètre capital pour le cancer de l'ovaire », souligne Fabrice Lécuru.

Mais la limite principale concerne sans doute la définition exacte des patientes traitées. « Les chiffres de survie ne sont pas ceux qu'on attendait, reprend-il. Dans le groupe témoin, la survie sans progression est de 10 mois, alors qu'elle est d'environ 19 mois en France. Pour la majorité des femmes, le diagnostic du cancer de l'ovaire est posé à un stade avancé, au stade 3, mais ici la sous-population des femmes candidates A, B ou C est mal définie dans l'étude. L'évaluation initiale était-elle faite par cœlioscopie ou imagerie seule ? »

Ces chiffres de survie surprennent tout le monde, les auteurs eux-mêmes. « Aucun groupe n'a eu de résultats qui arrivaient près des résultats publiés pour la survie sans progression (approximativement 2 ans) observée chez les patientes ayant une cytoréduction optimale », soulignent les éditorialistes.

Point positif, la toxicité s'est révélée faible et le délai entre l'intervention et la reprise de la chimiothérapie n'était pas allongé par rapport au groupe témoin. Pour Fabrice Lécuru : « Cet essai ouvre des réflexions et des essais à l'avenir ». Les éditorialistes new-yorkais disent attendre de nouvelles preuves avant d'envisager la CHIP dans une stratégie de traitement, dans un contexte où la CHIP devra soutenir la comparaison avec « les effets prometteurs de nouvelles associations et de l'immunothérapie ».

Dr Irène Drogou

Source : Le Quotidien du médecin: 9632