Éric Gilson, Grand Prix INSERM 2019 : « Cancer et vieillissement sont liés, même si les mécanismes sont multiples »

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Publié le 28/11/2019
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Le 10 décembre prochain, Éric Gilson professeur en biologie à la faculté de médecine de Nice recevra le Grand Prix INSERM 2019 pour l'ensemble de sa carrière, consacrée à la biologie du vieillissement.

Crédit photo : Eric Paul / ATAOUK / Inserm

LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN : Vos travaux sur les télomères ont permis des avancées majeures et vous ont conduit à créer l'Institut de recherche sur le cancer et le vieillissement (IRCAN), l'un des premiers centres à réunir sur un même site des spécialistes du vieillissement et du cancer. Quelles ont été vos principales découvertes en biologie du vieillissement ?

ÉRIC GILSON : L'ADN de nos chromosomes étant linéaire, il en résulte une extrême vulnérabilité des extrémités des chromosomes. Dans les années 1990, j'ai découvert les protéines qui protègent les extrémités naturelles des chromosomes humains, constituant ainsi les télomères. En travaillant sur ces protéines, et en particulier sur la protéine TRF2, je me suis intéressé plus largement aux mécanismes du vieillissement normal et pathologique et du cancer.

Cancer et vieillissement sont liés, même si les mécanismes sont multiples. La protéine TRF2 est surexprimée dans de nombreux cancers qui ont besoin de maintenir les télomères pour progresser. À l'inverse, lors du vieillissement non cancéreux, cette protéine diminue avec l'âge, ce qui contribue à la sénescence cellulaire. Cette protéine joue donc un rôle pivot entre cancer et vieillissement.

L’IRCAN a été créé en 2012 avec l’appui de l’INSERM, du CNRS et de l’université de Nice. Quelle est l'originalité de cet institut ?

La découverte de ces protéines m'a effectivement amené à réfléchir sur les relations entre cancer et vieillissement, au-delà des télomères, puis à créer l'IRCAN à la faculté de médecine de Nice, avec l'ambition de rassembler les spécialistes de deux biologies qui se « parlaient » peu ; d'un côté la biologie du vieillissement, qui est paradoxalement assez neuve dans ses concepts et la compréhension de ses mécanismes, et de l'autre, la biologie du cancer.

Tous les grands champs disciplinaires de la biologie sont représentés à l'IRCAN dans une vision intégrée des mécanismes du vieillissement et du cancer, afin de créer de nouvelles synergies et de nouvelles approches à la fois fondamentales et appliquées. L'IRCAN a été parmi l'un des premiers centres de ce type dans le monde, et a permis de faire émerger une communauté autour de la biologie du vieillissement.

Vous êtes également coordinateur scientifique du programme de recherche Agemed, lancé par l'INSERM en 2016. Dans quel but a-t-il été créé ?

Avec Agemed, nous avons rassemblé un consortium de plus de 20 équipes de recherche afin de créer une communauté à l'échelle nationale et mettre en place des programmes collaboratifs originaux. Agemed a notamment permis de faire avancer les connaissances sur les mécanismes qui conduisent au vieillissement des cellules.

Vous êtes par ailleurs l'un des coordinateurs scientifiques de l'expédition Tara Pacific qui s'est déroulée entre 2016 et 2018. Quel est votre rôle au sein de ce projet ?

J'ai été sollicité pour étudier la dynamique des télomères des coraux, qui sont des animaux d’extrême longévité. Des données génomiques et environnementales ont été collectées et sont en cours d'analyse. Nous savons que l'environnement a une forte influence sur la dynamique de nos propres télomères, et nous cherchons à étudier ce phénomène à l'échelle de l’écosystème des récifs coralliens du Pacifique. À travers ce projet, nous cherchons à comprendre les mécanismes liant environnement et vieillissement.

Un an avant le Grand Prix INSERM, c'est l'Académie des sciences qui récompensait l'ensemble de vos travaux avec le grand prix Charles-Léopold Mayer. Que représentent ces distinctions pour vous ?

Depuis ma thèse, j’essaie de comprendre la raison d’être des redondances génétiques. C’était au départ un sujet très fondamental. Il m’a amené à travailler sur les télomères, le vieillissement et le cancer avec des perspectives importantes d’application médicale. C'est donc une grande satisfaction que de voir cette démarche mise en lumière. Cela m'encourage à continuer.

Charlène Catalifaud

Source : Le Quotidien du médecin