L'Académie appelle à une meilleure prise en compte des différences entre les sexes en médecine et science

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Publié le 24/06/2016
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Crédit photo : S. TOUBON

La science et la médecine doivent davantage assumer les différences biologiques entre les sexes dans les diagnostics, traitements, et recherches, exhorte l'Académie de médecine.

« On veut gommer les différences pour parvenir à l'égalité, alors qu'il faudrait en tenir compte dans la pratique médicale mais aussi en matière de prévention », alerte le Pr Claudine Junien, généticienne, membre correspondante de l'Académie.

Et de rappeler que la différenciation des sexes est avant tout (au moins chronologiquement) biologique, fondée sur la différence entre la paire de chromosomes XX et la paire XY. De ce fait, il n'existe que 0,1 % de différence entre deux individus de même sexe, contre 1,5 % entre un homme et une femme (ou encore un homme et un chimpanzé), explique la généticienne.

Au cours du développement, ces différences perdurent ; toujours au stade de la conception, « 30 % des gènes ne s'expriment pas de la même manière chez les hommes et les femmes », poursuit le Pr Junien. Une proportion qui grimpe jusqu'à 70 % pour le foie, selon elle. Puis apparaissent à la 7-8e semaine les gonades et les hormones.

« Une grande partie de la différenciation sexuelle se joue donc avant la naissance », résume le Pr Junien. Le genre intervient une fois l'enfant mis au monde : « À partir de là, il y a interaction entre le sexe biologique et le genre », dit-elle. Loin d'elle l'idée de nier l'importance du genre. « Il faut sortir de la dichotomie sexe et genre : les deux dimensions sont parfaitement imbriquées. » Mais elle récuse toute instrumentalisation du genre pour nier les différences entre les sexes – une négation contreproductive et non anodine quant à la santé.

Maladies auto-immunes, cardiovasculaires, autisme…

Des maladies se retrouvent en effet plus fréquemment chez l'un des deux sexes, comme les maladies auto-immunes, explique le biologiste et immunologiste Jean-François Bach. « Les thyroïdites touchent 50 femmes pour un homme, le lupus érythémateux concerne 10 fois plus les femmes », explique-t-il, évoquant aussi la polyarthrite rhumatoïde ou la sclérose en plaques.

Pour distinguer ce qui relève des hormones, le biologiste suggère de regarder les maladies chez l'enfant, avant la puberté. À cette période, le lupus affecte indifféremment filles et garçons, rapporte-t-il. Mais il reste des inconnues, comme des maladies immunitaires non liées aux hormones, et pourtant sexuées ; ainsi de l'asthme, qui touche davantage les garçons, la dermatite atopique associée à un taux élevé d'immunoglobine E (chez les garçons) ou sans IGE (chez les filles), ou encore l'autisme, qu'on observe davantage chez les garçons sans en comprendre la raison. « Analyser ces différences liées aux sexes permettrait de mieux comprendre les maladies », estime le Pr Bach.

Pour la cardiologue Vera Regitz-Zagrosek, la prise en compte du sexe est si essentielle dans sa spécialité qu'elle a fondé l'Institut du Genre en médecine à l'hôpital de la Charité, à Berlin, en 2003 puis la Société allemande et internationale pour l'égalité en médecine. « Méconnaître les différences entre homme et femme conduit à poser des diagnostics inappropriés pour des cardiopathies ischémiques, le syndrome du cœur brisé (ou tako tsubo), l'infarctus aigu du myocarde, ou encore les insuffisances cardiaques », explique le Pr Regitz-Zagrosek. À la clef : une prise en charge retardée et inadaptée.

« En outre, les recherches en cardiologie sont menées à plus de 80 % chez des mâles. Les traitements fonctionnent mal chez les femmes », dénonce-t-elle. Pour y remédier, les chercheurs de l'Institut du Genre en médecine de Berlin écrivent des papiers de position en relisant toutes les grandes études et en y cherchant les différences reproductives. « Nous allons dans toutes les sociétés savantes pour expliquer aux auteurs des guide-lines l'importance des différences de sexe et de genre dans les recherches », explique Vera Regitz-Zagrosek.

En écho, l'Académie de médecine propose une révision des principes de la recherche fondamentale et clinique, ce jusqu'à la pratique médicale, une réinterprétation des études sur l'homme ou l'animal en tenant compte du sexe, et une conversion d'une médecine indifférenciée à une médecine sexuée (qui n'ait bien sûr rien de hiérarchisée). Ce qui ne va pas sans un réel effort de formation des médecins et des professionnels de santé.


Source : lequotidiendumedecin.fr