« PRESCRIRE, c’est devenu plus sérieux que de faire un chèque ! On doit mettre son numéro de Sécurité sociale et les références de son domicile fiscal en haut de chaque ordonnance. » Le Dr Aristotelis Gatsis est cardiologue dans un hôpital privé non lucratif à Athènes. C’est d’un œil résigné qu’il observe les réformes à l’œuvre dans son pays. Des réformes qu’il qualifie d’« absolument indispensables » mais qui bouleversent sa pratique au quotidien. Les prescriptions de médicaments et d’examens complémentaires, sous haute surveillance depuis un an, « passent par plusieurs filtres de régulation ». Gare aux dérives : « En cas de fraude, on risque une amende ou la radiation. »
Mis au pas, le corps médical grec voit ses revenus s’effriter. « Mon chiffre d’affaires a baissé de 50 % en 2010, précise le Dr Gatsis. Plus personne ne veut venir dans le privé pour une angioplastie coronaire. Pourtant, j’ai diminué mes tarifs de moitié. » L’ambiance est morose dans les cabinets médicaux, comme partout en Grèce, désormais notée triple C (*). Mercredi dernier, des milliers de gens ont battu le pavé. Parmi eux, le Dr Christos Marcopoulos : « Je suis allé manifester devant la maison familiale de Georges Papandréou [le Premier ministre]. En Grèce, nous n’avons jamais eu une vraie démocratie. C’est plutôt une oligarchie ». Le Dr Marcopoulos est installé à Kifissia, à une trentaine de kilomètres d’Athènes. Son activité opératoire – il est ORL en privé – a chuté de 60 % depuis le début de la crise. Le remaniement gouvernemental le laisse de marbre : « Ça ne va rien changer. La Grèce n’est pas un pays industrialisé, nous sommes à bout de souffle. » Formé à Lyon, ce médecin envie le système français « où l’on se fait soigner dans le public et le privé sans se demander combien ça coûte ». Les réformes qui se profilent lui déplaisent : « L’État propose aux médecins privés d’être conventionnés avec la Sécurité sociale car le système hospitalier public est bloqué. Cela ne me convient pas car le tarif sera d’une vingtaine d’euros. Ce n’est pas un tarif pour un spécialiste, ça. Aujourd’hui, je prends entre 70 et 100 euros. »
Exode de blouses blanches.
Dans les hôpitaux publics, les mesures d’austérité s’empilent. Les gardes sont taxées depuis peu, les 13e et 14e mois ont été supprimés, le salaire des médecins a baissé de 100 euros. Athina Marantidou, interne en neurologie, est de retour dans son pays après un stage à la Pitié-Salpêtrière. Elle s’étonne que le matériel soit là alors que les seringues manquaient en 2010. « Je ne sais pas comment ils ont fait pour l’acheter, mais rien ne manque, nous pouvons travailler normalement, raconte-t-elle. Mon hôpital (Evangelismos) est l’un des deux plus gros en Grèce. Les plus petits hôpitaux en périphérie ont peut-être moins de moyens. » Athina Marantidou reviendra en France dès son internat terminé. Par crainte du chômage à Athènes, et parce que le salaire français l’attire. Sa sœur architecte veut partir en Angleterre. Ses amis ont changé de discours. « Avant, ils me disaient : pourquoi pars-tu ? On a le soleil et la mer ! Aujourd’hui, ils disent qu’ils veulent partir aussi. » Le Dr Christos Dimitriadis va reprendre des cours de français, lui aussi songe sérieusement à l’exil. Marre de vivre à crédit. Les caisses d’assurance-maladie (il en existe 150 en Grèce) lui doivent 30 000 euros. « La caisse des télécoms ne nous a pas payés depuis deux ans », illustre-t-il.
La fuite des blouses blanches a débuté l’an passé. « Plusieurs centaines de jeunes médecins ont quitté la Grèce pour l’Angleterre et les pays scandinaves à cause de la crise financière », affirme Yannis Kyriopoulos, doyen de l’École nationale de la santé publique à Athènes. Qui n’exclut pas que des hôpitaux fassent faillite à cause des futurs plans d’austérité. L’an passé, il a fallu économiser un milliard d’euros sur les médicaments. Nouveau tour de vis en vue : « Un plan du gouvernement prévoit 3 milliards d’euros d’économies en 2011 et 2012 dans le secteur de la santé, dont 500 millions d’euros sur le salaire des personnels », relate l’économiste de la santé.
Ardoises.
Certains professionnels libéraux parviennent à tirer leur épingle du jeu. « Des gens font l’effort d’accoucher dans le privé, même si cela coûte trois à dix fois plus cher, car l’hôpital manque de moyens », expose ainsi le Dr Liliana Colombero. Les 15 000 euros que lui doit l’État, la gynécologue a fait une croix dessus. Sa clientèle privée n’a pas fondu comme neige au soleil, se rassure-t-elle. Le Dr Théofanis Angelopoulos a monté son laboratoire avec deux confrères. Les trois biologistes ont stoppé les embauches, reporté l’achat d’un automate pour faire des antibiogrammes. L’État leur doit plus de 100 000 euros. Le Dr Angelopoulos s’élève contre un État « anti social » qui prend des mesures « contre les plus pauvres ». Paradoxalement, il peste aussi contre certains confrères qui continuent à soigner sans se faire payer, alors que l’Ordre des médecins d’Athènes conseille d’exiger l’avance des frais par les patients, à charge pour eux de se faire rembourser par la suite. « Cette pression vise à obliger l’État à nous payer. Que des médecins prennent les patients sans les faire payer casse notre mouvement. »
La profession médicale apparaît très divisée. « On n’est pas sûr que l’État pourra payer un jour. Je n’adhère pas au mouvement car je ne veux pas transférer le problème sur les patients », déclare ainsi le Dr Dimitriadis. Lancé cet hiver, le mouvement « je ne paie pas » a gagné tous les services publics : les péages, les transports, les soins. Fin novembre, plusieurs hôpitaux ont organisé une semaine de la gratuité. Le secteur libéral ne se sent pas concerné. « Cette grève, cela ne me regarde pas », confie le Dr Marcopoulos, dont les revenus oscillent entre 7 000 euros et 10 000 euros par mois. À l’hôpital, le salaire moyen d’un PH est de 1 500 euros. Hors dessous-de-table.
* Par l’agence de notation Standard & Poors
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