Comment faire pour que les médecins s'approprient la question des violences faites aux femmes dans leur pratique quotidienne ? La Haute Autorité de santé (HAS) prend le sujet à bras-le-corps et met à la disposition des professionnels de santé des outils simples et pratiques pour mettre le pied à l'étrier aux professionnels de santé.
Ces recommandations visent ainsi à attirer l'attention des médecins sur la problématique et à fournir une aide pour s'en saisir. Car le constat est sans appel : le repérage des violences au sein du couple n'est pas encore naturel pour les médecins.
Pourtant, les situations graves nécessitent des mesures de protection sans délai de la femme et de ses enfants et les situations à risque élevé, des mesures de sécurité à préparer de façon anticipée. Pour chaque situation, les médecins doivent savoir adresser les femmes vers les bons relais. Le repérage est loin d'être une question marginale et ponctuelle : une femme sur cinq est, a été ou y sera confrontée au cours de sa vie.
Des freins à lever
Reste que ce processus est souvent très difficile pour le médecin. Pourquoi ? « L'objection clé est "on n'a pas le temps", explique le Pr Pierre-Louis Druais, médecin généraliste sensibilisé de longue date à la question par son épouse criminologue et victimologue. Pourtant, face à une urgence médicale, le médecin ne se pose pas la question d'avoir le temps ou pas, il s'en occupe et gère la situation. C'est la même chose pour les violences faites aux femmes. Les médecins doivent savoir qu'ils ne sont pas tout seuls. Dans l'émotionnel, il faut savoir se raccrocher à des supports simples pour orienter les femmes, tels que la fiche de la HAS et le site declicviolence ».
Hélas la peur, moins avouable que l'argument du temps, incite parfois à fermer les yeux. « Mes confrères me disent : "Cela fout la trouille !", observe le médecin qui est également vice-président de la Commission recommandations, pertinence, parcours et indicateurs à la HAS. Les peurs sont multiples : le sentiment d'intrusion dans la vie privée, la peur d'offenser, voire de perdre le contact, la crainte de se faire manipuler, d'autant plus que le médecin peut s'occuper du reste de la famille, l'appréhension à s'occuper ensuite de l'auteur des violences, le fait de ne pas savoir comment gérer dans l'instant, ou encore un malaise à l'idée de perdre le contrôle de la situation, une fois le certificat établi ».
Afficher qu'il est possible d'en parler
La question systématique lors du premier entretien médical est un point clé pour ouvrir le dialogue. « La femme ne vient en général pas consulter pour ce motif, explique Pierre-Louis Druais. Il est très rare de repérer des violences lors de cette première consultation. Mais cela permet d'afficher qu'il est possible d'en parler. Cela s'inscrit dans le temps, les femmes peuvent venir parler des années plus tard. » Des questions ouvertes types permettent d'aborder le sujet de façon neutre, tout en prenant soin de préciser qu'elles sont posées à toutes les patientes.
Au fil du temps, le médecin doit savoir rester réceptif aux signaux envoyés par les patientes, si elles n'en parlent pas spontanément. « Il faut savoir reposer les questions devant des symptômes répétitifs et inexpliqués, indique le médecin généraliste. Mais aussi devant des difficultés sexuelles, une dépression, un syndrome de stress post-traumatique ou encore au moment d'une grossesse et de l'arrivée de l'enfant. »
Ne pas porter de jugement
L'accompagnement des femmes peut s'avérer déstabilisant pour les médecins, ce qui ne doit pas décourager ni faire baisser les bras. « Il y a un nombre important de retraits de plaintes chez les femmes, indique Pierre-Louis Druais. Les violences s'inscrivent dans un cadre amoureux et les femmes sont dans l'ambivalence vis-à-vis de leur conjoint, et souvent sous leur emprise. Il faut connaître et accepter cet état de fait. »
De la même façon, il est indiqué de ne pas juger la patiente si elle ne souhaite pas déposer plainte tout de suite, mais de l'inciter à le faire dès qu'elle se sentira prête et en sécurité. Le médecin doit continuer à l'informer, à lui rappeler ses droits et à la déculpabiliser. L'assentiment de la femme est nécessaire pour faire un signalement la concernant auprès du procureur de la République. « Il est fondamental pour la patiente de retrouver l'autonomie qu'elle a perdue face à son agresseur ; il est donc impératif de respecter ses choix », est-il indiqué dans les recommandations.
« Il est nécessaire d'expliquer le cycle de la violence, poursuit Pierre-Louis Druais. S'il a tapé une fois, il peut le faire de nouveau et plus fort la fois d'après, même s'il y a des pardons, une réconciliation et des "lunes de miel". Les femmes sont sensibles à l'argument des enfants, qui sont témoins de la violence parentale, s'ils ne sont pas victimes eux-mêmes. » La protection des enfants va de pair avec celle des femmes et il est à rappeler que l'accord de la femme n'est pas nécessaire pour faire un signalement si la victime est un mineur ou une personne vulnérable.
Des outils pour une pratique au quotidien
Les chiffres restent désespérément stables : en 2018, en France, 121 femmes ont été tuées par leur (ex)-partenaire. Elles étaient 130 en 2017 et 118 en 2014. Quelque 219 000 majeures ont déclaré être victimes de violences en 2018, 223 000 en 2015. Sans compter les violences psychologiques et verbales.
Parmi la petite majorité de victimes qui parlent de leur situation, 30 % consultent un psychiatre ou un psychologue et 27 % un médecin, avant les services sociaux (21 %), les commissariats (seulement 19 % déposent plainte) ou les associations (10 %), selon l'observatoire national des violences faites aux femmes.
D'où l'intérêt des recommandations sur le repérage des femmes victimes de violence au sein du couple, publiées ce mercredi 2 octobre par la Haute Autorité de santé (HAS). Une agence qui cherche bel et bien à « impliquer » ces soignants de premier recours, selon les mots de sa présidente la Pr Dominique Le Guludec. « Ils sont encore peu formés pour repérer ces violences et désarmés pour prendre en charge les femmes… Alors qu'ils sont leurs premiers interlocuteurs », explique-t-elle.
Impliquer et rassurer les médecins
« Chaque mot a été pesé pour interpeller le médecin tout en le rassurant et en lui laissant sa liberté dans l'abord de la patiente, salue la Pr Ghada Hatem, gynécologue-obstétricienne, fondatrice de la Maison des femmes à Saint-Denis et membre du groupe de travail de la HAS. Bien sûr, le médecin n'a pas à se substituer à l'assistante sociale ! »
À la lumière de la littérature internationale, la HAS préconise d'introduire la question des violences dans l'interrogatoire. L'exercice est délicat, reconnaît la Pr Le Guludec. « Mais cela s'apprend, comme l'annonce d'une maladie ou d'un mauvais pronostic : nous donnons les outils pour que cela rentre dans la pratique quotidienne », avance-t-elle. Certes les médecins manquent de temps. Il s'agit alors d'apprécier le degré de risque et d'hospitaliser en cas de danger imminent, ou hors urgence, d'ouvrir le dialogue, parfois en plusieurs rendez-vous. « Cela fait aussi gagner du temps, en évitant des consultations à répétition, faute de trouver la vraie cause du mauvais état de santé », explique la Pr Le Guludec.
Constituer son réseau
Quant à la difficulté que ressent le médecin après un aveu, la HAS recommande la constitution au préalable d'un réseau. « La prise en charge d'une victime de violences ne se fait pas seul : les médecins doivent avoir, "prêt à l'emploi", un carnet d'adresses déjà constitué, avec les partenaires sanitaires, judiciaires, associatifs », conseille la présidente de la HAS.
Au-delà des cabinets, la HAS espère que ces recommandations et fiches serviront de support à la formation initiale et continue des médecins, afin que le repérage des violences au sein du couple fasse partie de la routine de l'exercice médical.
Ce travail de la Haute Autorité de santé puise ses racines dans le 4e plan de lutte contre les violences faites aux femmes 2014-2016 suivi, en 2017, d'une saisine du ministère de la Santé. Il complète de précédentes recommandations destinées au repérage des violences contre les femmes dans les structures d'hébergement social.
Ce que doit contenir le certificat médical
Le certificat médical permet à une victime de faire valoir ses droits et d'obtenir une mesure de protection (sans être indispensable à un dépôt de plainte).
Il doit être établi selon des règles précises que rappellent une fiche ainsi que les recommandations. Le médecin pourra y trouver un modèle type de certificat (élaboré par l'Ordre des médecins, après la mésaventure d'une sage-femme traduite devant les instances disciplinaires de son Ordre à la suite d'une plainte d'un mari pour violation du secret professionnel). « Il est important que ce certificat n'extrapole pas : le soignant n'a pas assisté aux violences, il doit faire la distinction entre ce qu'il constate et ce qui lui est rapporté », commente la Pr Dominique Le Guludec, présidente de la Haute Autorité de santé. Le soignant n'a pas à désigner nommément le tiers responsable ; il doit reporter les dires spontanés de la victime sur le mode déclaratif et décrire précisément les faits constatés en s'appuyant sur l'examen clinique. Il doit en garder un double.
Le signalement auprès du Procureur, dérogation légale au secret professionnel, est lui aussi très encadré. Le praticien doit d'abord recueillir l'accord de la victime quand elle est majeure (et peut s'en dispenser quand la victime est mineure). Lorsque les enfants sont présents dans le foyer, le praticien peut se délier du secret professionnel via l'information préoccupante ou le signalement judiciaire. Comme pour le certificat médical, il n'a pas à se prononcer sur l'imputabilité.
10 points clés
- En cas de situation jugée grave, hospitaliser sans délai après appel au 15 ou demander un hébergement d'urgence au 115
- Numéro d'urgence : Violences Femmes Info au 3919
- Signes de gravité : gravité des actes (fréquence, intensité, contexte de grossesse ou de séparation, risque de suicide, hématomes, fractures, etc.), dangerosité de l'agresseur (menaces de mort, tentatives de passages à l'acte, armes au domicile), retentissement sur le foyer, vulnérabilité de la victime (handicap, maladie mentale, épisode dépressif, grossesse, isolement social)
- Conseiller de déposer plainte auprès de la police ou de la gendarmerie
- Informer du droit de quitter le domicile conjugal avec les enfants, en le signalant à la police (main courante) ou à la gendarmerie
– Informer du droit à demander une ordonnance de protection en saisissant en urgence le juge aux affaires familiales (même sans dépôt de plainte)
- Protéger les enfants par une hospitalisation, un signalement au Procureur de la République ou une information préoccupante à la CRIP (cellule de recueil des informations préoccupantes)
- En cas de situation à risque élevé, conseiller à la victime de préparer un Plan de sécurité
- Pour trouver des infos pratiques : Déclic Violence http://declicviolence.fr/index.html
- Le site www.stop-violences-femmes.gouv.fr est à conseiller aux victimes
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