Y a-t-il assez de masques pour tout le monde ?

2019-nCoV : comment protéger les soignants ?

Publié le 10/02/2020
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Au moment du SRAS en 2002-2003, 21 % des victimes étaient des soignants. Depuis, l’adoption de mesures de protection spécifiques en cas d’épidémie a été généralisée dans la plupart des pays. Mais comment continuer à protéger efficacement les soignants alors que les stocks de masques fondent  et que l'OMS évoque cette semaine un début de pénurie ?

Crédit photo : PHANIE

«Le monde fait face à un manque chronique d'équipements de protection individuelle». Tedros Adhanom Ghebreyesus a fait état vendredi d'un début de pénurie d'équipements de protection comme les masques de protection respiratoire ou les gants lors d'une réunion à Genève. Le directeur général de l'OMS prévoit d'entrer en contact avec les responsables de la chaîne d'approvisionnement pour tenter de résoudre les « goulots d'étranglement » dans la production.

La question du ratio de masques disponibles pour les populations et pour les professionnels de santé se pose particulièrement depuis l'épidémie de SRAS. En 2002-2003, 1 707 (22 %) des 8 098 malades étaient des soignants. Dans un premier temps, des soignants ont été contaminés par contact direct avec les patients et en particulier par la réalisation de gestes à haut risque (aspiration bronchique par exemple) avec des mesures de protection limitées. L’utilisation systématique des masques, des gants et des vêtements et lunettes de protection a été rapide devant l’ampleur des pertes de soignants. Reste que, dans certaines zones, l’information n’avait pas été suffisante.

Mais, depuis cette épidémie, l’OMS a beaucoup travaillé sur la protection des soignants en période épidémique en particulier par le biais du Règlement Sanitaire International. L’arrivée du 2019-nCoV fait-elle courir des risques particuliers pour les soignants ? Les premiers médecins et infirmiers qui ont pris en charge des victimes n’ont pas immédiatement adopté des mesures de protection strictes. Ainsi, le Dr Li Wentiang, le premier médecin chinois à avoir communiqué sur l’épidémie est décédé le 6 février 2020.

En Asie, des cabinets fermés

C'est bien sûr en Chine que la situation est la plus difficile. Le gouvernement chinois a reconnu début février avoir besoin d'urgence de masques de protection pour faire face à l'épidémie. Sur place, des masques en tissus lavables (de même type que les masques anti-pollution qui filtrent 80 % des particules) sont vendus pour lutter contre le 2019-nCoV en l’absence de masques jetables.

À Hong-Kong, le 5 février 2020, 15 cabinets de groupe de ville, représentant un total de 100 médecins et infirmières, ont fermé leurs portes en raison d’une pénurie de masque pour protéger les soignants. Ce chiffre devrait monter à 200 cabinets fermés sur les 4 000 de la ville dans les jours qui viennent puisque les sociétés de nettoyage (dont les personnels sont indispensables dans la gestion de cette crise) font une concurrence agressive aux soignants auprès des approvisionneurs de masques pour récupérer des stocks.

Le 6 février 2020, Taiwan a mis en place un système de rationnement de vente des masques au grand public afin de préserver les stocks pour les soignants et les hôpitaux.

Vigilance sur les autres continents

En Australie, les masques avaient déjà été utilisés pour les feux. Dans le BMJ du 5 février 2020, des généralistes australiens prennent la parole pour faire partager une problématique locale. Alors qu’à cette date, 14 cas avaient été confirmés dans le pays, l’accès aux masques faciaux devenait de plus en plus complexe pour les médecins qui travaillent hors des hôpitaux. En effet, au moment des incendies géants qui ont concerné toute une moitié du pays en début d’année 2020, la population s’est ruée sur les masques afin d’éviter l’irritation et la toxicité des fumées d’incendie. C’est ce qui explique qu’aujourd’hui, les stocks de masques sont déjà, avant même des signes d’épidémie, au plus bas dans le pays.

Le Financial Times parlait le 2 février de difficultés d’approvisionnement en Europe et aux États-Unis. Pourtant dans ce pays, le CDC ne recommande pas non plus le port de masque dans le grand public. Certaines personnes d’origine chinoise auraient acheté en très grand nombre des masques afin de les faire parvenir à leur famille restée au pays.

Mais c'est évidemment dans les pays en développement qu'une épidémie pourrait poser le plus problème. Et c’est là que le défi de la protection des populations et des soignants serait le plus complexe. L’OMS, qui dispose de stocks de masques et de gants, concentre donc son aide sur les pays les moins riches. Avec un budget global annuel de 4 milliards de dollars (contre 203 milliards d’euros de dépense de santé annuelles dans l'Ondam en France…), ses moyens demeurent en effet limités. Pour autant, le 4 février 2020, l’organisation a annoncé avoir envoyé 531 000 masques entreposés à Dubaï et Accra vers 24 pays à accès limité aux soins.

Pas de pénurie en France

En comparaison, la situation dans l'Hexagone est toute autre. Au point presse du 26 janvier 2020, Agnès Buzyn jugeait « inutile que les Français achètent des masques de protection en pharmacie ». Elle ajoutait : « les masques bleus sont des masques qu’il faut mettre quand on est malade pour éviter de contaminer l’entourage… Nous avons des dizaines de millions de masques en stock en cas d’épidémie. Si un jour nous devions proposer à la population de porter des masques, les autorités sanitaires les distribueraient ».

Les Français ont-ils entendu la Ministre ? Pas tous ! Des pharmaciens parlent de demandes individuelles disproportionnées qu’ils ne peuvent pas satisfaire, des hospitaliers expliquent que les patients et accompagnants se « servent » dans les stocks mis à disposition et les fabricants semblent allonger leurs délais de livraison… Pas de pénurie néanmoins en France où le port de masque se banalise et où certaines pharmacies tripleraient voire multiplieraient par dix le prix des masques, si l'on en croit la presse grand public.

 

Novel coronavirus: Australian GPs raise concerns about shortage of face masks BMJ 2020; 368 doi: https://doi.org/10.1136/bmj.m477

Dr Isabelle Catala

Source : Le Quotidien du médecin