Durcir la loi Évin, augmenter les prix, renforcer les campagnes d’arrêt de la consommation (« Dry January »), systématiser le repérage, inscrire la prise en charge dans le temps, etc. Dans une expertise collective dévoilée ce 4 juin, les experts de l’Inserm, sollicités par la Direction générale de la santé (DGS) et la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), émettent toute une série de recommandations en faveur de la « réduction des dommages associés à la consommation d’alcool ».
Deuxième cause de mortalité évitable en France après le tabagisme, la consommation d’alcool concerne près de 43 millions de Français, avec une moyenne de trois verres par jour, soit 27 g d’alcool pur par personne. Les niveaux de consommation élevés touchent les jeunes et les seniors. Responsable de 41 000 décès par an, l’alcool est aussi la première cause d’hospitalisation et engendre un coût total de 118 milliards d’euros chaque année (contre 120 milliards pour le tabac).
Les jeunes perméables à la publicité
La revue critique de la littérature menée par les experts révèle les effets du prix, de la disponibilité et des normes sur la perception positive de l’alcool. Le marketing ciblant les jeunes a par exemple un réel impact, souligne Karine Gallopel-Morvan, spécialiste du marketing social à l’École des hautes études en santé publique (EHESP) : il « banalise la perception de la consommation d’alcool » et joue un rôle de normalisation qui influe sur les comportements, rappelle-t-elle, insistant sur la forte présence des marques sur les réseaux sociaux.
Les experts plaident ainsi pour une communication renforcée de la part des autorités. Ils rejoignent ainsi la position des acteurs de l’addictologie qui, en février dernier, avaient adressé une lettre ouverte à Emmanuel Macron pour réclamer des mesures concrètes pour améliorer l'information des consommateurs d'alcool.
Durcir la loi Évin
Les experts se prononcent aussi en faveur d’un durcissement de la loi Évin de 1991, dont la portée a été affaiblie par le lobbying des producteurs d’alcool. « La taxation de 10 % des dépenses de publicité sur l’alcool pour une redistribution à la recherche et à la prévention, prévue dans la loi Évin n’est pas appliquée », déplore Karine Gallopel-Morvan.
Il s’agirait ainsi de revenir aux principes initiaux du texte et de le renforcer en interdisant la publicité sur Internet et dans l’espace public mais aussi de contrer les effets du marketing en rendant les avertissements sanitaires plus visibles. Aussi, alors que les lobbies investissent dans la recherche, l’enjeu est également de renforcer la transparence, notamment sur les liens entre industries et chercheurs.
Un autre axe porte sur les prix. La population apparaît en effet « sensible aux augmentations de prix », même si l’effet est moins marqué en présence d’addictions, estime Christian Ben Lakhdar, économiste à l'Université de Lille. Les experts préconisent ainsi d’imposer un prix minimum par unité d’alcool, à l’instar de la taxe soda, alors que certains alcools comme le vin restent peu taxés en France. L’accès doit aussi être mieux encadré, selon les experts qui avancent l’idée de plages horaires dédiées à la vente et d’une réduction du nombre de commerces autorisés ou de licences délivrées.
Promouvoir le « Dry January »
L’accent doit être par ailleurs mis sur la prévention, alors que l’alcool est associé à une « soixantaine de pathologies », souligne Mickaël Naassila, chercheur au sein du Groupe de recherche sur l’alcool et les pharmacodépendances (Inserm). Cette « forte morbidité » est présente « quel que soit le niveau de consommation », poursuit-il, rappelant qu’« à partir de 10 verres par semaine, la mortalité toutes causes décolle ». Au-delà de la diffusion de messages de prévention « compréhensibles », « faciles à mettre en application et déclinés pour permettre leur diffusion numérique », les experts pointent les bénéfices des campagnes d’arrêt de la consommation, comme le « Dry January » (mois sans alcool).
En matière de prise en charge, plusieurs pistes sont proposées. L’objectif est d’abord de systématiser le repérage, même en l’absence de dépendance. « La moitié des consommateurs d’alcool n’ont pas de dépendance mais vont avoir des conséquences sur la santé, souligne le Dr Guillaume Airagnes, psychiatre addictologue rattaché au Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations (Inserm/Université de Paris). Il est donc important de réduire les consommations car les effets sont dose-dépendants ».
Une prise en charge au long cours de la dépendance
Pour les consommateurs dépendants, la prise en charge doit être similaire à celle proposée pour les pathologies chroniques. L’objectif est de « les inscrire dans une prise en charge au long cours », poursuit le psychiatre, indiquant le bénéfice des stratégies multimodales, combinant plusieurs approches (psychothérapeutique, médicamenteuse, remédiation cognitive, réhabilitation sociale, prise en charge des comorbidités), dont l’approche « motivationnelle », à laquelle les soignants doivent être formés.
Il est par ailleurs important que « la prise en charge ne soit pas dissociée du reste car la consommation est souvent associée à d’autres addictions (comme le tabagisme), à des troubles notamment dépressifs et à des conséquences sociales, professionnelles », relève le Dr Airagnes, plaidant ainsi pour une approche « intégrative ». « Chez les précaires, il faut d’abord traiter l’urgence sociale », estime-t-il, jugeant que la « mise à l’abri d’une personne à la rue » par exemple est un préalable à toute prise en charge.
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