À la veille de l'élaboration de la seconde Stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens, Santé publique France (SPF) publie de nouvelles données épidémiologiques compatibles avec un impact des perturbateurs endocriniens (PE) sur la santé reproductive dans le « Bulletin Épidémiologique Hebdomadaire » (« BEH »).
À travers deux illustrations que sont les dysgénésies gonadiques et la puberté précoce, l'agence sanitaire montre une tendance possiblement en rapport avec des causes environnementales, dont les PE.
Sperme altéré
Comme dans d'autres pays occidentaux, la qualité du sperme, l'un des quatre indicateurs retenus dans la dysgénésie gonadique, est en nette dégradation depuis 30, voire 40 ans. Entre 1989 et 2005, la concentration en spermatozoïdes a chuté de près d'un tiers (- 32,2 %), soit près de 2 % par an, d'après des mesures sur près de 27 000 hommes.
Pour la puberté précoce – définie par des signes de puberté avant l'âge de 8 ans chez les filles et neuf ans chez les garçons – les travaux de SPF ont apporté pour la première fois en 2016 une estimation de l'incidence nationale, révélant de très fortes disparités géographiques entre les régions.
Des PE multiples et ubiquitaires
« Au-delà de la connaissance du caractère perturbateur endocrinien d'une substance chimique », souligne dans un éditorial Sébastien Denys, directeur Santé environnement à SPF, cette description est « une étape déterminante » pour constituer un faisceau de preuves convaincant afin de limiter l'exposition des populations.
L'enjeu de santé publique pose un défi scientifique « colossal », explique-t-il, du fait « du nombre de substances identifiées », de la difficulté au niveau toxicologique « à déterminer les effets combinés » de ces substances et de « la difficulté à leur attribuer les pathologies associées ».
Plusieurs indicateurs dégradés pour les garçons
Dans l'analyse sur le syndrome de dysgénésie testiculaire, outre la qualité du sperme à l'âge adulte, l'équipe coordonnée par Joëlle Le Moal a étudié deux malformations congénitales (hypospadias, cryptorchidies) et le risque de cancer testiculaire. Il se dégage « une détérioration marquée » pour ces indicateurs, indiquent les auteurs, et pas de tendance nette pour les hypospadias.
En particulier, les cancers des testicules progressent, avec une incidence en augmentation de 1,5 % par an. Le phénomène, identifié depuis plusieurs décennies dans les populations d'origine nord-européenne, est « encore inexpliqué », relèvent les chercheurs.
Une hétérogénéité régionale très forte pour la puberté
L'évaluation de la puberté précoce dispose de moins de recul, le recensement étant commencé avec la possibilité d'un traitement freinateur par agoniste de GnRH. Les filles sont dix fois plus atteintes que les garçons. La forme la plus fréquente est la puberté précoce centrale idiopathique (PPCI), qui représente plus de 90 % des cas chez les filles. Le traitement spécifique par agoniste de la GnRH permet d'interrompre la puberté jusqu'à l'âge normal. Chez les garçons, les causes périphériques sont plus fréquentes.
Pour la période 2011-2013, le taux d'incidence national est de 2,68 pour 10 000 filles (1 173 nouveaux cas/an) et de 0,24 pour 10 000 garçons (117 nouveaux cas/an).
Chez les filles et les garçons, il existe une très forte hétérogénéité géographique, avec des écarts d'incidence de 1 à 12 chez les filles, avec des surincidences marquées dans l'ancienne région Midi-Pyrénées et le département Rhône-Alpes.
Élargir au métabolisme et au neuro-développement
Pour expliquer ces chiffres, d'autres causes peuvent entrer en ligne de compte. Le tabagisme est avancé pour la dysgénésie gonadique, des facteurs génétiques, ethniques et/ou populationnels pour la puberté précoce « un gradient Nord-Sud étant observé pour l'apparition des premières règles » et « la zone Rhône-Alpes ayant une forte population d'immigrants d'origine diverses, bien que moindre qu'en Île-de-France ».
Pour Sébastien Denys, il est fondamental que ces travaux soient poursuivis mais aussi « élargis à d'autres pathologies, comme celles du métabolisme et du neuro-développement », afin d'apporter des éléments de réponse objectifs à la fois aux pouvoirs publics et à la société civile.
Chlordécone, un perturbateur endocrinien emblématique aux Antilles
La chlordécone est un insecticide organochloré, qui a été intensivement utilisé aux Antilles françaises de 1973 à 1993 dans les bananeraies. Les propriétés estrogéniques et progestagéniques du chlordécone pourraient être impliquées « de très près » dans le risque accru de prématurité, mais aussi dans le développement psychomoteur du nourrisson « les oestrogènes jouant un rôle critique dans la plasticité cérébrale », est-il souligné. Un lien avec le cancer de la prostate est plausible du fait de propriétés cancérigènes, œstrogéniques et proangiogéniques, mais les auteurs appellent à une « certaine prudence », compte tenu de la complexité des mécanismes conduisant au cancer.
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