LE QUOTIDIEN : Après avoir lancé le plan « déserts médicaux » en octobre, vous êtes intervenu le 13 février pour annoncer un plan de transformation du système de santé. Cette implication personnelle signifie-t-elle que la réforme de la santé est une priorité pour le gouvernement ? Votre initiative ne risque-t-elle pas de réduire le leadership d’Agnès Buzyn sur ce dossier ?
EDOUARD PHILIPPE : C’est mal me connaître. Agnès Buzyn a toute ma confiance et elle est aux avant-postes de cette réforme. Mon implication signifie que la santé est au cœur des priorités du gouvernement.
Notre pays a la chance d’avoir un système de santé doté de professionnels de très grande valeur qui nous permet d’avoir l’une des meilleures espérances de vie au monde. Mais ce système n’est pas parfait, quand on voit par exemple la trop faible place de la prévention ou les difficultés d’accès aux soins que rencontrent certains de nos concitoyens. Il est donc essentiel de le transformer en profondeur en faisant évoluer les organisations, en ville comme à l’hôpital. C’est la mission d’Agnès Buzyn, qui a déjà en quelques mois su prendre plusieurs décisions courageuses, comme sur les vaccins ou sur le tabac.
Quel jugement portez-vous sur l’action réalisée sous le quinquennat Hollande ? Des erreurs, des retards sont-ils imputables à la précédente équipe gouvernementale ?
Ces dernières années, on a vu se développer la chirurgie ambulatoire ou des modes d’exercice pluri-professionnels en ville par exemple. Mais les règles qui régissent le système de santé ont, elles, assez peu changé : les modes de rémunération, par exemple, n’ont connu que quelques ajustements à la marge. C’est ce décalage entre des aspirations au changement des professionnels et un système qui reste rigide qui crée aujourd’hui des tensions et des difficultés.
C’est tout cela qu’il faut transformer en profondeur et c’est le sens des cinq chantiers structurants que nous avons lancés : remettre au cœur de l’exercice la qualité et la pertinence, repenser le financement, accélérer le virage numérique, et mieux adapter nos ressources humaines et notre organisation territoriale des soins.
À Eaubonne, vous avez fait le constat de médecins épuisés. Comment redonner du sens à ce métier de soignant ?
Ce constat est effectivement partagé et nous devons y remédier. Le sens qui doit prévaloir est celui de l’intérêt du patient. En luttant contre les actes inutiles grâce à la pertinence ou en facilitant la coordination entre professionnels via les outils numériques et des modes de rémunération innovants, nous redonnons du temps aux soignants et du sens à leur engagement. Ce doit être notre seule boussole. Cela prendra un peu de temps bien sûr, mais je sais que tous les professionnels sont prêts à avancer rapidement.
Votre réforme « en profondeur » du financement des soins pourrait-elle déboucher sur une remise en cause des modes de rémunération actuels : T2A à l’hôpital et paiement à l’acte en ville ?
Les modes de rémunération doivent évoluer. La T2A à l’hôpital ne doit pas être supprimée mais doit être complétée : d’autres rémunérations prenant mieux en compte les parcours, la qualité, les missions de service public, la prévention, doivent être créées. C’est du reste le chemin qu’ont emprunté de nombreux pays qui étaient également à la T2A. Les rémunérations en ville doivent également évoluer selon les mêmes principes, en les adaptant.
Vous avez estimé la semaine dernière que « l’acte médical est toujours un acte important, jamais anodin ». Quel serait pour vous le juste prix d’une consultation ?
Justement, à l’avenir on ne raisonnera plus seulement avec cette grille de lecture. Les actes médicaux ne disparaîtront pas, naturellement. Mais selon qu’il s’agisse d’un suivi de maladie chronique, d’une consultation ponctuelle, ou d’une action de prévention, la façon dont on le rémunère ne sera pas nécessairement la même.
L’accent mis par le gouvernement sur la régulation des dépenses de ville fait craindre à certaines organisations de médecins libéraux un retour de la maîtrise comptable, voire l’avènement d’une médecine fonctionnarisée. Que leur répondez-vous ?
Il faut dire la vérité : maîtriser la croissance des dépenses de santé reste une nécessité. Depuis 2010, l’ONDAM a toujours été respecté. Pour autant, quand on y regarde de plus près, on constate que les dépenses de l’ONDAM « soins de ville », qui, soit dit en passant, ne contiennent pas uniquement les rémunérations des professionnels libéraux, mais aussi les prescriptions de médicaments, les arrêts de travail, ont plutôt eu tendance à dépasser leurs objectifs ces dernières années. Cela justifie donc que l’on réfléchisse, sereinement et collectivement, avec les professionnels, à de nouveaux outils. Quand nous parlons qualité et pertinence des soins avec la ministre, je crois qu’on est très loin de la maîtrise comptable.
Le « virage ambulatoire » semble plus que jamais dans les objectifs du gouvernement. Jusqu’où comptez-vous aller ? Nos hôpitaux sont-ils prêts ? Et la collaboration ville hôpital est-elle à la hauteur ?
Le développement de la chirurgie ambulatoire ces dernières années démontre, s’il en était besoin, que nos hôpitaux et nos cliniques savent s’adapter et mettre en œuvre de grands changements organisationnels. La prochaine étape concerne la médecine ambulatoire : dès cette année les tarifs T2A commenceront à inciter à son développement. Le défi est grand, pour les hôpitaux comme pour la ville ; il nous faut développer encore plus les liens ville hôpital, c’est un enjeu important pour le bon déroulement du parcours du patient. Mais je ne doute pas un seul instant qu’il sera relevé.
Vous avez confirmé une baisse imminente des tarifs hospitaliers. N’est-ce pas contradictoire avec les louanges que vous adressez au secteur ?
Le système fondé exclusivement sur l’acte, ou l’activité, amène mécaniquement à ce type de régulation. C’est aussi pour cela qu’il faut sortir de cette logique. La transformation proposée doit nous y aider. Et parce qu’il faut accompagner les professionnels qui vont conduire ces changements, nous avons dégagé 100 millions d'euros de ressources nouvelles par an, hors ONDAM, pour conduire le plan de transformation du système de santé. Ce changement est indispensable et nous voulons nous donner les moyens de le réussir, pour les patients, pour les soignants.
Dans votre ambition réformatrice, misez-vous particulièrement sur la nouvelle génération médicale ?
Les jeunes professionnels, qui sont d’ailleurs souvent des professionnelles, que j’ai pu rencontrer ont une envie de changement qui, me semble-t-il, est parfaitement en adéquation avec les lignes que nous avons tracées, qu’il s’agisse des modes d’exercice ou de l’organisation du système. Je compte bien sur leur implication et leurs talents pour aider à la transformation.
Vous ouvrez une réflexion « sans tabou » sur le numerus clausus, d’une part, et sur l’avenir des ECN, d’autre part. Faut-il supprimer ces modalités de sélection, emblématiques des études de médecine ?
Vous le rappelez vous-même : une réflexion sans tabou. Nous avons ouvert le temps de la concertation, il faut qu’elle aille à son terme. Puis nous déciderons. Mais à l’évidence, le fonctionnement actuel des études de médecine mérite une profonde évolution.
On entend souvent dire qu’on ne peut pas réformer la santé contre les médecins. Est-ce aussi votre analyse ?
C’est ma conviction. Les médecins sont au cœur de notre système de santé, il est évident que l’on n’avancera pas sans eux ! Mais tous ceux avec qui j’échange me disent la même chose : il faut profondément changer le système dans toutes ses dimensions. Je sais qu’ils y sont prêts.
Sur les questions de fin de vie et d’assistance médicale à la procréation, le gouvernement compte-t-il bouger ? Allez-vous calquer votre position sur les résultats des états généraux de la bioéthique ?
Les états généraux de la bioéthique se déroulent de janvier à avril, sous l’égide du comité consultatif national d’éthique, qui publiera ensuite un avis avant l’été. Laissons le débat se dérouler, un débat que je souhaite large et apaisé. Les décisions viendront ensuite. Sur la fin de vie, la priorité est d’évaluer la mise en œuvre de la loi Claeys-Leonetti, qui est encore très récente. L’IGAS remettra un rapport à la ministre de la santé en mars.
Le gouvernement penche pour la contraventionnalisation de l’usage du cannabis. Cela signifie-t-il que le débat sur la dépénalisation est clos ?
Le gouvernement n'est pas favorable à la dépénalisation de l'usage des produits stupéfiants dont fait partie le cannabis. Par contre nous considérons que la prison n'est pas la réponse adaptée. Il nous faut également mettre l’accent sur la prévention avant tout chez les plus jeunes.