Vaccination antigrippale : reportage dans le Rhône

Ici, c'est le pharmacien qui pique

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Publié le 27/11/2017
Vaccin grippe pharmacie

Vaccin grippe pharmacie
Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

pharma

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Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

Ce matin de novembre, à la pharmacie du marché des États-Unis, au cœur d'un quartier populaire de Lyon, l’ambiance est détendue. Au comptoir, quatre pharmaciens accueillent des patients.

Parmi eux, Ariette, 87 ans, bon pied bon œil. « Je viens renouveler mon traitement. Mais j’en profite aussi pour me faire vacciner contre la grippe. Une voisine m’a dit que le pharmacien peut le faire », s'exclame la patiente en tendant son bon bleu. Dans la file d'attente, Philippe, un trentenaire, renchérit : « Je veux me faire vacciner comme la dame. Comment dois-je faire ? ».

Mission de santé publique

Depuis le 6 octobre, cette pharmacie expérimente volontairement la vaccination à l'officine. Pour David Pérard, très motivé, pas question de rater cette nouvelle mission de santé publique. Le pharmacien titulaire a dû réorganiser son équipe pour pouvoir vacciner les patients sans rendez-vous.

Ce matin-là, c’est autour d’Elna Carrara, pharmacienne adjointe, de prendre en charge Ariette et Philippe. À tour de rôle, elle les interroge en suivant rigoureusement un questionnaire proposé par la plateforme de l'Ordre des pharmaciens. « Avez-vous déjà été vacciné contre la grippe ? Avez-vous eu une réaction allergique lors d’une vaccination antérieure ? ». Elle coche les réponses. « Le questionnaire est bien fait et me permet de vérifier si le patient fait partie de la population cible que je peux vacciner. Si ce n’est pas le cas, une fenêtre s’ouvre et m’alerte ». Ariette entre dans la cible. Ce n’est pas le cas de Philippe, jamais vacciné. La pharmacienne l’invite à prendre rendez-vous chez son médecin traitant.

Ariette doit maintenant signer le formulaire de recueil de consentement – obligatoire dans le cadre expérimental – puis passer dans une petite pièce aménagée en espace de confidentialité. Une paire de gants enfilée, la pharmacienne prévient Ariette, bras dénudé. « Je vais vous piquer, respirez bien. C’est fini », annonce la vaccinatrice, toute sourire.

Pour pouvoir piquer, la pharmacienne a dû retourner à l’école. Une journée de formation a été « utile ». « Au début, j’avais une petite appréhension mais après plusieurs entraînements sur un bras en mousse, il n’y a plus de problème », confie-t-elle.

Une fois l'injection faite, Elna doit encore garder la patiente pendant 15 minutes. Le temps de remplir le questionnaire et de remettre l’attestation comportant l’identité du pharmacien vaccinateur et les informations sur le vaccin injecté (nom de la spécialité et numéro du lot), la pharmacienne a passé au total 25 minutes pour pratiquer l'opération. 

Satisfaction des patients

Ariette est enchantée. « D'habitude je vais voir l'infirmière de l'autre côté de la rue. Là c'est encore plus près et je connais tout le monde, c'est très bien », dit-elle, en remerciant à la pharmacienne.

La satisfaction est partagée du côté de l'équipe officinale. « Je ressens une autre relation avec le patient. Le fait de s’occuper d’eux, de les toucher… Ils nous parlent de leur traitement et cela ouvre vers pleines d’autres choses », reconnaît, ravie, Edwige Bonnet, autre pharmacienne. Face aux inquiétudes de certains patients sur les adjuvants ou l'efficacité du vaccin, elle a des arguments. « C’est une clientèle de quartier. Beaucoup ont fait le choix de la proximité. Je pense vacciner d’autres personnes que celles qui vont habituellement voir les médecins ou les infirmiers », affirme-elle.

L'objectif est de permettre aux officinaux de toucher davantage de personnes âgées fragiles, réticentes à la vaccination. La pharmacie du marché a déjà vacciné 251 personnes.« Cela répond à une attente des patients. Le risque, c’est d’avoir un bond du nombre de vaccinations à l’officine et un taux de couverture qui évolue très peu », craint David Pérard.

Pas de concurrence

Autorisée l’an passé par la loi de financement de la Sécu, cette mission confiée aux pharmaciens avait soulevé un tollé chez les médecins et les infirmiers. Mais à ce stade, David Pérard avoue ne pas avoir eu de « retour négatif ».

Présents à la pharmacie ce matin-là, Julien Besse et Naima Krim-Arbi, deux infirmiers du quartier, témoignent : « Il n'y a pas de concurrence entre nous. Nous continuons à vacciner autant de personnes. Certaines infirmières refusaient de vacciner l'année dernière car cet acte est peu rémunéré ». 

A deux pas, deux cabinets médicaux : les Drs Thierry Mairesse et Frédéric Santos, médecins généralistes, soutiennent eux aussi cette démarche « si cela peut faire augmenter la couverture vaccinale »« Je continue à vacciner ceux qui ont l'habitude de venir. En tout cas, j'ai ressenti moins de réticence de la part des patients que les années précédentes. C'est un peu grâce aux pharmaciens », reconnaît même le Dr Mairesse.

Zéro pointé pour le retour d'infos

Dans ce quartier populaire quadrillé par des HLM, la maison de santé se trouve à proximité de l'officine. Entre deux visites, le Dr Florence Lapica, l’un des quatre généralistes de la structure, passe une tête à la pharmacie. Elle aussi favorable à l’expérimentation, le médecin, présidente de MG France Rhône, n’est pas tendre pour les pouvoirs publics. Manque d'information des médecins sur l'expérimentation, absence de parcours clair pour le patient... « C'est à nous sur le terrain de résoudre des conflits qui peuvent exister entre nous », déplore le Dr Lapica. 

De l'avis général, le retour d'infos vers le médecin traitant reste un point noir. « Une dame a pris rendez-vous pour me rendre l'attestation remise par le pharmacien. C'est bien mais tous ne le font pas. Du coup, je ne sais pas qui a été vacciné », relate le Dr Lapica. Selon la loi, le pharmacien doit transmettre l'information, notamment par messagerie sécurisée. Mais trop peu de pharmaciens sont aujourd'hui équipés.

Pour surmonter cette difficulté, la maison de santé propose un accès particulier aux pharmacies du quartier. « Je peux me connecter et déposer une ordonnance ou un message concernant la vaccination d’un patient dans l’espace métier du pôle de santé », signale, ravi, David Pérard.

Médecins et pharmaciens veulent travailler main dans la main. Ils sont en train d’élaborer « un langage commun » sur la vaccination antigrippale. « Face aux réticences, expliquent-ils, si on arrive tous avec le même discours, ce sera beaucoup plus efficace »

Loan Tranthimy

Source : Le Quotidien du médecin: 9622