Prévention de la récidive de délinquance sexuelle

La médecine ne peut pas tout

Publié le 29/06/2010
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SUITE au brouhaha médiatique qui a entouré diverses affaires de récidive en matière de délinquance sexuelle, l’Académie de médecine a souhaité donner son avis, en mettant au moins le point sur un « i » : les médecins ne peuvent pas tout pour prévenir la récidive.

Pour appuyer son propos, l’Académie a constitué un groupe de travail qui s’est penché sur la littérature scientifique internationale, « souvent ignorée dans ce débat ». Trois de ses rapporteurs, les Prs Edwin Milgrom, Philippe Bouchard et Jean-Pierre Olié se sont employés, au cours d’une conférence de presse, à rappeler que si le traitement est l’une des réponses qui contribue à cette prévention, ses effets restent limités. Selon une méta-analyse (Hanson et Morton 2003), le taux de récidive chez les délinquants sexuels s’élèverait à 14 %, indiquent les Académiciens, précisant que ce taux est probablement sous-estimé, car les chiffres s’appuient sur le nombre de condamnations or de nombreux crimes et délits échappent à la justice. Une autre méta-analyse, plus récente (Schmuker et Losel 2008), portant sur plus de 22 000 sujets, indique que, si l’on omet les effets de la castration chimique (qui, elle, a des effets très importants sur la récidive), les traitements hormonaux et la psychothérapie abaissent de 25 % le taux de récidive… 25 % seulement.

« Les méthodes médicales ont donc un certain effet, mais limité », insiste le Pr Edwin Milgrom, endocrinologue. Seul un traitement post incarcération est efficace, précise-t-il encore. « Les traitements ne sont que suspenseurs, ils ne préviennent que les pulsions sexuelles et non les autres types de violences, ajoute le Pr Jean-Pierre Ollié, psychiatre à Sainte Anne. Et ils ne sont pas anodins, entraînant parfois des conséquences graves, en termes, notamment, de morbidité. »

Capacité imparfaite pour prédire.

Le rapport souligne les difficultés à élaborer une « politique » : « Nous n’avons qu’une capacité imparfaite pour prédire la dangerosité des sujets, donc pour décider lesquels d’entre eux devraient se soumettre à un traitement. ».Il note que l’efficacité des traitements dans les essais actuellement publiés est déjà largement incomplète. « Qu’en serait-il chez des sujets non plus volontaires mais contraints », s’interrogent les rapporteurs ? Se posent également les questions de la durée des traitements et de critères fiables pour la déterminer, de la juste répartition entre psychothérapies et thérapeutiques hormonales et de la conduite à tenir en cas de survenue de complications.

À l’issue de leur rapport, les Académiciens émettent trois recommandations. La première, c’est l’amélioration de la pratique des expertises de dangerosité des criminels sexuels, en enseignant et en diffusant les méthodes actuarielles. Dans cette approche totalement empirique, fondée sur une analyse statistique, sont retenues uniquement les caractéristiques qui différencient de façon significative les délinquants récidivistes des non-récidivistes. Sont ainsi définis des items qui permettent, par addition, d’obtenir une note globale, laquelle donne la mesure de la dangerosité du patient. Les rapporteurs ont évoqué le test Static 99 (Hanson et Bussiere, 1998), « probablement le test actuariel le plus employé ». Il comporte dix items, comme le nombre de victimes, la nature de ces victimes (s’il s’agit de proches ou de personnes étrangères à l’agresseur), si elles sont de sexe féminin ou masculin... Ces approches sont méconnues dans notre pays.

Il faut « informer les magistrats et le public en général du caractère très imparfait des prévisions, même quand l’expertise a utilisé les meilleurs instruments actuellement disponibles », tempèrent toutefois les rapporteurs. Ils appellent par ailleurs de leurs vœux la définition d’une politique qui ne soit donc pas uniquement fondée sur des moyens médicaux, car ils « ne peuvent pas tout résoudre ». La réponse médicale ne doit pas être l’unique remède proposé, ont martelé les Académiciens, en refusant pour autant de se prononcer sur les autres solutions évoquées ici et là : le maintien en détention prolongée, le port d’un bracelet électronique, l’information communiquée aux proches de la dangerosité de l’un des leurs etc. « Les traitements à visée hormonale ou psychologique ayant une efficacité très partielle et quelquefois des effets secondaires marquants, ils ne peuvent être le seul outil d’une politique de prévention de la récidive », ont-ils insisté.

Enfin, ils appellent à une recherche davantage tournée vers les pistes de prévention médicale de la récidive des délinquants sexuels. « À l’heure actuelle, la recherche dans ce domaine est en France absolument sous-dotée et mal structurée ». Il n’y aurait en France qu’un seul chercheur, dans une seule unité de recherche INSERM, à travailler sur la question.

AUDREY BUSSIÈRE

Source : Le Quotidien du Médecin: 8801