L'alerte a été lancée fin août aux États-Unis avec un premier décès pulmonaire, inexpliqué. Quand, en parallèle, plus de 200 vapoteurs souffrant de troubles pulmonaires importants avaient été signalés. Malheureusement la série noire ne s'arrêtera pas là. En septembre, cinq autres décès ainsi que près de 300 hospitalisations pour des problèmes respiratoires graves sont recensés. Début octobre, on en est à 18 morts et plus de 1 000 (1 080) atteintes pulmonaires graves enregistrées dans 48 états américains plus le territoire des îles Vierges (1).
Pour le Center for disease control and prevention (CDC), « L'épidémie continue à se développer à un rythme rapide », malgré l'alerte.
Des jeunes souvent consommateurs de e-cannabis (THC) illicite
Sur les 1 080 victimes recensées à ce jour par le CDC, la plupart sont des hommes (70 %) jeunes, voire très jeunes. 80 % ont moins de 35 ans, 21 % de 18-20 ans et 16 % de moins de 18 ans. L'âge médian est de 23 ans (13-75 ans). En revanche, l'âge médian des sujets décédés (21-70 ans) est bien plus élevé : 50 ans (1).
La plupart de ces vapoteurs déclarent une consommation de e-liquide contenant du THC, souvent acheté sur le marché illégal. Sur les 580 sujets dont la consommation a été étudiée, 80 % utilisaient des e-liquides contenant du THC et 40 % en consommaient exclusivement. Néanmoins, 17 % n'utilisent que des e-liquides contenant de la nicotine. C'est pourquoi le CDC juge que les produits contenant du THC jouent un rôle dans l'épidémie sans que l'on puisse pour autant se restreindre à cette seule étiologie.
Pas d'agent toxique unique et implication nette des e-produits non manufacturés
La Food and drug administration (FDA), saisie du problème, a récupéré de très nombreux e-liquides associés aux cas pour les analyser. Actuellement les analyses sont loin d'être terminées mais déjà les premiers résultats suggèrent qu'il sera difficile de faire porter le chapeau à un seul produit. On retrouve souvent du THC mais aussi plusieurs diluants et additifs et même des opioïdes et des pesticides. Et aucune substance, y compris l'acétate de vitamine E, qui a été incriminée dans certains cas (État de New York), n'est commune à tous les e-liquides analysés. Il est donc fort probable que plusieurs produits chimiques soient en cause.
Dans l'attente d'en savoir plus, la FDA a lancé ces jours-ci un appel solennel à « l'arrêt du vapotage des e-liquides contenant du THC et de tout e-liquide acheté dans la rue » (2).
Une série hétérogène d'atteintes pulmonaires toxiques graves
La publication récente de 53 cas recensés en Illinois et Wisconsin est venue confirmer la complexité de l'épidémie (3). Il s'agit d'une série de 53 patients vapoteurs d'âge médian 19 ans et de sexe masculin à 83 %. Tous présentaient des anomalies radiologiques pulmonaires bilatérales. Parmi eux, 94 % ont dû être hospitalisés et 33 % intubés. Une personne est décédée malgré sa prise en charge (3). En termes de consommation, 84 % avaient vapoté des e-liquides contenant du THC mais avec une grande variété d'origines et de types de vapoteuses. « À nouveau un certain nombre – 17 % – n'avait pas vapoté de THC » (3) Par ailleurs, « bien qu'elle soit hétérogène, la présentation clinique de ces cas et leur évolution suggère un mécanisme physiopathologique commun », selon les auteurs. Ceci alors qu'une série anapathologique présentée dans la même édition du NEJM (4) illustre la diversité des atteintes.
« On est devant une série hétérogène d'atteintes pulmonaires aiguës regroupant des pneumonies à éosinophiles, des pneumopathies interstitielles, des pneumonies lipoïdes, des dommages alvéolaires diffus avec syndrome de détresse respiratoire aiguë, des hémorragies alvéolaires diffuses, des pneumopathies d'hypersensibilité et enfin de rares pneumopathies à cellules géantes, résume David Christiani (Harvard, Boston) [5]. Des atteintes sous-tendues par un cheminement physiopathologique commun, débutant par l'inflammation, l'œdème des voies respiratoires avec desquamation épithéliale, l'inflammation alvéolaire puis l'œdème avec hypoxie », selon lui.
Quant aux produits potentiellement en cause, ils peuvent être nombreux. Pour rappel, il y a au moins six groupes de produits potentiellement toxiques dans les e-liquides : la nicotine, les carbonyles, les composés organiques volatiles (benzène, toluène…), des particules, des traces d'éléments métalliques en fonction de l’arôme, des endotoxines bactériennes et des glucanes fongiques (5).
Des messages forts aux États-Unis
Très vite, dès la mi-septembre, par mesure de précaution le CDC a recommandé l'arrêt du vapotage pour les jeunes, les jeunes adultes et les femmes enceintes. Rien n'est dit pour les adultes (non jeunes) si ce n'est, chez les non-fumeurs, de ne pas commencer à vapoter. Il est aussi fortement recommandé de ne pas acheter de e-liquides dans la rue, de ne pas modifier les e-liquides (ajout, mélange). Enfin il est conseillé aux fumeurs en quête de sevrage d'utiliser les méthodes validées dont les médicaments et le conseil.
L'OMS, malgré le manque de données démonstratives, a quant à elle déclaré les e-cigarettes nocives.
Enfin, début octobre, la FDA a appelé à cesser de vapoter du THC mais aussi tout e-liquide acheté hors circuit de distribution.
Conseil prudent en France
En France, on est dans un contexte bien différent de celui des États-Unis. Et les ardents défenseurs de la lutte anti-tabac se sont émus de cette charge contre les e-cigarettes au regard des méfaits, bien connus, du tabac.
La SPLF et la Fondation du Souffle ont néanmoins publié mi-septembre un communiqué intitulé « E-cigarette : prudence et vigilance » (6). Ce communiqué rappelle les faits connus à cette date. Il souligne que le sevrage tabagique est un enjeu majeur. Il explique que « les données suggèrent que ces pneumonies toxiques sont majoritairement liées à des e-liquides contenant du THC et/ou modifiés ou fabriqués artisanalement. Soit un usage détourné des e-cigarettes utilisant des produits illégaux », mais que « les données ne permettent pas à ce jour d'exclure un rôle des produits commercialisés ». C'est pourquoi, par prudence, « la SPLF recommande de limiter les e-cigarettes aux personnes en échec de sevrage tabagique par d'autres méthodes et aux produits autorisés sans oublier d'informer les patients des risques éventuels encourus (6)». Soit un message clair de prudence ne sombrant ni dans l'alarmiste ni dans le déni.
(1) Outbreak of Lung Injury Associated with E-Cigarette Use, or Vaping. CDC , 3 octobre 2019
(2) Vaping Illness Update: FDA Warns Public to Stop Using Tetrahydrocannabinol (THC)-Containing Vaping Products and Any Vaping Products Obtained Off the Street. FDA , 4 octobre 2019
(3) JE Layden et al. Pulmonary Illness Related to E-Cigarette Use in Illinois and Wisconsin — Preliminary Report. NEJM 2019; DOI: 10.1056/NEJMoa1911614
(4) Y M Butt et al. Pathology of Vaping-Associated Lung Injury. NEJM 2019; DOI: 10.1056/NEJMc1913069
(5) DC Christiani. Vaping-Induced Lung Injury. NEJM 2019; DOI: 10.1056/NEJMe1912032
(6) e-cigarette: prudence et vigilance. CP SPLF, Fondation du Souffle, 16 septembre 2019
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