Controverse sur le virus H5N1 artificiel muté

L’épilogue

Publié le 25/06/2012
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« NOUS SOMMES heureux de publier enfin les travaux conduits par Ron Fouchier et col. décrivant grâce à une version modifiée, comment le virus de la grippe aviaire H5N1 acquiert la capacité à se transmettre par voie aérienne chez le furet ». Après huit mois de controverses, Bruce Alberts, rédacteur en chef de la revue « Science » salue la décision de l’Agence américaine de biosécurité (The National Science Advisory Board for Biosecurity, NSABB) d’avoir considéré que les bénéfices d’une publication in extenso des données d’une telle recherche sont outrepassent les risques d’un mauvais usage. L’épisode a eu, selon lui, l’avantage de mettre l’accent sur ce type de recherche à la fois utile mais susceptible d’être détournée notamment à des fins de bioterrorisme (DURC ou « dual-use research of concerne ») et sur la nécessité d’établir des critères généraux et internationaux pour mieux les évaluer et des procédures transparentes pour autoriser leur accès. « Les travaux qui cherchent à modifier la transmissibilité du virus H5N1 appartiennent à cette catégorie », affirment clairement Antoni Fauci et Francis S. Collins du National Institute of health. Ils rappellent toutefois que les travaux concernant H5N1 diffèrent peu des recherches menées depuis des décennies sur les autres virus grippaux pandémiques, notamment chez le furet. Si la légitimité de ces études n’est pas à remettre en cause - la grippe reste une menace et beaucoup de questions sont encore irrésolues - , l’ampleur sans précédent des débats qu’elles ont suscités, soulignent, selon eux, la nécessité d’impliquer la société civile très tôt dans le processus d’évaluation. « Une telle recherche ne peut être conduite et publiée qui si les bénéfices pour la société sont plus importants que les risques pour la sécurité des États », affirment-ils.

Cinq mutations.

Après la publication dans « Nature », le 2 mai dernier, de l’autre étude controversée, celle de l’équipe américaine dirigée par Yoshihiro Kawaoka, les chercheurs disposent désormais des résultats de l’équipe de Ron Fouchier. Cinq mutations ont rendu possible la transmission du virus H5N1 par voie aérienne : quatre d’entre elles portent sur l’hémagglutinine, la protéine de surface qui aide le virus à entrer dans la cellule ; une cinquième concerne la polymérase 2, une protéine responsable de la réplication du génome viral. Les trois premières mutations ont été identifiées à partir de l’étude des virus pandémiques de 1918, 1957 et 1968. Les deux autres ont été obtenus par passages successifs dans le tractus respiratoire supérieur des furets. De telles mutations sont déjà présentes de façon isolée ou combinée dans des souches H5N1 observées dans la nature. Certaines souches possèdent déjà deux de ces mutations, « il leur suffirait d’en acquérir 3 autres pour être capables de se transmettre par voir aérienne chez les mammifères », expliquent Colin A. Russell et col. dans un des articles de la revue. Par ailleurs l’étude de Ron Fouchier et col. invalide l’hypothèse jusqu’ici admise selon laquelle une pandémie ne pouvait être déclenchée que si les virus grippaux mélangeaient leur génome dans un hôte animal (porc par exemple) ; les chercheurs n’ont pas eu besoin d’un tel « réassortiment » pour modifier les caractéristiques de propagation du virus H5N1.? Parmi les résultats plutôt rassurants de l’étude, les chercheurs notent aucun décès parmi les animaux infectés par le virus muté qui par ailleurs reste sensible au traitement et vaccin actuel.

 Dr LYDIA ARCHIMÈDE

Source : Le Quotidien du Médecin: 9147