Fréquence
La fréquence exacte des traumatismes sexuels durant l’enfance est difficile à appréhender. Le fait que des abus sexuels sur des mineures puissent être longtemps tolérés par une société a été illustré par le cas de l’île Pitcairn, isolat social et paradis insulaire du Pacifique sud, colonisé par les descendants des mutins du Bounty ; un procès médiatisé a révélé que presque toutes les filles de l’île étaient abusées à partir de l’âge de 12 ans par la plupart des hommes dans un groupe humain où les individus appartiennent à quelques clans familiaux. Les conséquences psychologiques générales des « abus sexuels de l’enfance » (calque de l’anglais child [hood] sexual abuse) ont été décrites par plusieurs études ; cependant, les personnes vues en consultation médicale ne sont pas forcément un échantillon représentatif de la majorité des victimes et les situations individuelles sont très diverses.
Troubles mentaux variés
Une méta-analyse récente synthétisant les différents articles de revue publiés dans la littérature scientifique montre que des antécédents de traumatismes sexuels durant l’enfance sont associés à une augmentation légère du risque pour une gamme assez large de troubles mentaux. En termes de diagnostic psychiatrique, les traumatismes sexuels de l’enfance entraînent évidemment des états de stress post-traumatique, mais ils rendent aussi les sujets plus vulnérables à d’autres affections, moins spécifiques. La plupart des études constatent une augmentation légère, à l’âge adulte, du risque pour divers troubles anxieux, pour la dépression et pour l’abus de substances (alcool, autres drogues). On observe aussi un risque supérieur de troubles des conduites alimentaires (anorexie, boulimie), de troubles de la personnalité (notamment de personnalité borderline) et de gestes autoagressifs sans intention suicidaire. Il est souvent difficile de séparer l’effet des traumatismes sexuels de l’enfance de l’impact d’autres facteurs familiaux souvent associés (rapports violents au sein de la famille, négligence des enfants, maltraitance affective et émotionnelle, psychopathologie des parents).
Une étude chez des jumelles
Une étude américaine chez des femmes jumelles a essayé de mesurer l’effet propre des traumatismes sexuels en comparant les sœurs victimes d’abus sexuels à leurs sœurs jumelles indemnes. Les auteurs constatent que 30 % des femmes font état d’expériences sexuelles non désirées avant l’âge de 16 ans : 7,8 % des femmes rapportent des expériences sans contact génital (propositions, baisers, exposition des organes génitaux), 14,1 % des contacts génitaux sans pénétration, et 8,4 % des rapports avec pénétrations. Ces chiffres seraient représentatifs de la population américaine. L’âge moyen lors du premier événement est 10,2 ans ; l’auteur des maltraitances sexuelles (le « perpétrateur ») est un parent ou un adulte proche dans 89 % des cas et il y a eu plusieurs auteurs dans 32,9 % des cas ; 37,3 % des victimes n’ont parlé à personne de ce qu’elles ont subi. Dans cette étude, les traumatismes sexuels avant 16 ans augmentent de manière non spécifique le risque pour plusieurs troubles mentaux à l’âge adulte : essentiellement la dépendance à l’alcool et aux drogues, et dans une moindre mesure le trouble dépressif majeur, l’anxiété généralisée et le trouble panique. Les conséquences sont proportionnelles à la sévérité du traumatisme. L’augmentation du risque relatif (RR) est modeste et souvent non significative pour les traumatismes sexuels sans pénétration, et il est plus élevé (RR› 3) quand il s’agit de rapports avec pénétration. En dehors des rapports avec pénétration, d’autres facteurs de gravité, relevés dans d’autres travaux, sont la durée des abus sexuels, un âge des victimes compris entre 7 et 12 ans, les cas où l’auteur des faits est le père ou une figure d’autorité, l’usage de la violence, une grande différence d’âge avec l’abuseur.
Facteurs psychologiques
Facteurs psychologiques particuliers aux traumatismes sexuels.
Les maltraitances sexuelles se distinguent des autres expériences traumatisantes génératrices d’états de stress post-traumatiques par leur impact particulier sur la constitution de la personnalité, l’estime de soi, les relations interpersonnelles et la vie sexuelle. La consultation médicale initiale se fait parfois dans des conditions difficiles pour la victime qui est souvent inquiète et gênée. Cette dernière a par exemple confié les faits à une camarade de classe, qui a ébruité l’affaire jusqu’à ce que l’infirmière scolaire alerte les services de protection de l’enfance. La consultante est souvent désemparée devant l’avalanche de conséquences déclenchée par ses révélations – et honteuse que sa famille, sa classe, voire les réseaux sociaux sur internet soient au courant. L’entretien met souvent en évidence des éléments pouvant être conceptualisés comme des symptômes de stress post-traumatique (reviviscences désagréables du traumatisme sexuel et désinvestissement du présent, notamment de la scolarité). Il est fréquent que les résultats scolaires chutent, l’adolescente rapportant qu’elle n’a plus l’esprit à se concentrer sur son travail scolaire, qui lui semble devenu inutile car elle n’investit plus son avenir. Des images intrusives peuvent s’imposer à la conscience de la patiente (par exemple, le regard de l’abuseur qui est retrouvé dans le visage d’autres hommes, ou des « films » de filles se faisant violer). L’intimité sexuelle avec un garçon, même souhaitée, provoque parfois des flashbacks des rapports subis antérieurement sous la contrainte. Certaines filles remarquent qu’elles ont besoin de se tranquilliser avec une benzodiazépine ou de l’alcool pour se laisser aller à apprécier les rapports sexuels avec leur ami.
Vie sexuelle
Des conséquences durables sur la vie sexuelle.
Les abus sexuels peuvent influencer la vie sexuelle future de la femme de plusieurs autres manières. Les problématiques sexuelles généralement relevées sont un plus grand risque d’activité sexuelle non protégée, la multiplicité des partenaires, l’utilisation du sexe en échange de quelque chose, la sexualisation des relations ou, à l’inverse, l’évitement de la sexualité. La réponse sexuelle physiologique (lubrification vaginale) peut être vécue comme inquiétante si elle est associée à des souvenirs traumatisants et si elle suscite de la culpabilité ; la dissociation entre réponse physiologique et plaisir sexuel met la femme dans l’embarras. Certaines jeunes filles expriment d’ailleurs leur culpabilité d’avoir ressenti une réponse sexuelle physiologique lors d’attouchements imposés, et elles demandent à être rassurées sur le fait que cela ne signifie pas qu’elles étaient consentantes. Un risque certain est la « revictimisation », et des antécédents d’abus sexuels sont un des plus puissants prédicteurs de nouveaux abus sexuels. Les mécanismes de cette revictimisation sont complexes ; les jeunes femmes peuvent être tentées de s’engager de façon répétée dans des relations amoureuses bancales, dans l’espoir de gommer les traumatismes passés avec de nouvelles relations idéales.
N’oublions pas que les jeunes garçons peuvent aussi être victimes. Les personnes les plus vulnérables sont aussi souvent ignorées, comme les jeunes filles souffrant de troubles mentaux – par exemple de troubles du spectre de l’autisme – qui ont du mal à décrypter les intentions d’éventuels prédateurs.
1 Kathy Marks. Lost paradise: from mutiny on the Bounty to a modern-day legacy of sexual mayhem, the dark secrets of Pitcairn Island revealed. Free Press, New York, 2009. 352 pages.
2 Maniglio R. The impact of child sexual abuse on health: a systematic review of reviews. Clinical Psychology Review. 2009 ; 29 : 647-657.
3 Kendler KS, Bulik CM, Silberg J et al. Childhood sexual abuse and adult psychiatric and substance use disorders in women. An epidemiological and cotwin control analysis. Arch Gen Psychiatry. 2000 ; 57 : 953-959.
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