Adoption ouverte aux homosexuels

Les spécialistes de l’enfance disent oui

Publié le 13/09/2012
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Crédit photo : BSIP

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Crédit photo : AFP

FRANÇOIS HOLLANDE avait annoncé la réforme pour 2013. Dès mardi, la ministre de la Justice Christiane Taubira en a tracé les grandes lignes. Mariage, filiation et parenté, les homosexuels devraient se voir reconnaître l’ensemble de ces droits d’un coup. « Ils pourront comme les autres adopter de façon individuelle ou conjointe (de façon simple ou plénière) » - c’est à dire avec continuation ou non des liens de filiation avec les parents biologiques, a déclaré la garde des Sceaux dans un entretien au journal « La Croix ». « Qui peut dire qu’un couple hétérosexuel élèvera mieux un enfant qu’un couple homosexuel, qu’il garantira mieux les conditions de son épanouissement ? Ce qui est certain, c’est que l’intérêt de l’enfant est une préoccupation majeure du gouvernement », répond Mme Taubira aux suspicieux.

Suspicieux, le psychiatre et psychanalyste Charles Melman, spécialiste de l’adoption, l’est. « Nous ne connaissons pas le devenir de ces enfants. Beaucoup de travaux américains montrent que l’éducation reçue par des couples homoparentaux produit des êtres excellents, mais ce sont des études militantes ». Le Dr Melman redoute essentiellement une perte des repères : « On touche aux symboles. Un enfant n’a pas seulement besoin d’amour pour grandir. Il doit fixer son identité sexuelle et se reconnaître comme homme ou femme, ce qui peut poser problème au sein d’un couple homosexuel où la différence des sexes et des charmes est troublée », explique-t-il.

Les spécialistes de l’enfant se veulent, eux, rassurants. « Se demander si "c’est grave" d’être élevé par deux parents d’un même sexe, c’est confondre sexe et genre. Dans un couple de femmes, l’une peut s’investir davantage dans un rôle paternel, cela peut n’être pas toujours la même, l’enfant saura se construire ses stéréotypes en fonction de ses besoins », balaie le Dr Frédéric Jésu, pédopsychiatre de service public.

La souffrance que pourraient ressentir ces enfants ne viendrait pas de l’orientation sexuelle des parents, mais d’un non-dit que l’ouverture du droit à l’adoption lèverait. « Si l’enfant sait que sa situation doit restée cachée, c’est difficile pour lui », poursuit le Dr Frédéric Jésu. Serge Hefez*, responsable de l’unité de thérapie familiale dans le service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’hôpital de la Pitié-Salpétrière (AP-HP) partage le même constat. « La grande difficulté de ces enfants consiste à être élevé dans une famille qui est hors de la norme sociale : c’est aussi ce qu’ont ressenti les enfants de divorcés il y a 40 ans », explique-t-il au « Quotidien », se félicitant que l’ouverture à l’adoption puisse « sortir de l’invisibilité ces familles homoparentales ».

La professeur de psychiatrie de l’enfant et adolescent à Paris Sud Catherine Jousselme**, qui dénonce aussi « l’interdit », insiste sur l’importance de poser des questions. « Si un couple homosexuel nie la différence, c’est compliqué pour l’enfant : il faut reconnaître que ce n’est pas banal, et les pédiatres et généralistes peuvent guider dans cette réflexion », conseille-t-elle.

Protection juridique.

L’accès à l’adoption pour les homosexuels fait en outre figure d’avancée dans la reconnaissance d’une double parentalité. « L’adoption est avant tout le droit pour un enfant qui n’a pas de parents à en avoir. Et une seule filiation peut être bancale. Il faut promouvoir le droit à l’adoption par des couples non mariés quelle que soit leur orientation sexuelle », défend le Dr Jésu, en tant que vice-président de Défense des enfants international (DEI) France.

Le Dr Annabelle Bazerbes est généraliste dans le Pas-de-Calais. Homosexuelle, elle a élevé l’enfant de sa compagne dès l’âge de 4 ans, avant d’avoir un enfant via la procréation médicalement assistée en Belgique. « Jusqu’à la majorité du premier enfant, j’ai crains de ne plus le voir si jamais il arrivait malheur à ma compagne. Si je disparais, notre deuxième enfant pourrait perdre en même temps que sa mère biologique sa "mère sociale" si nous ne nous étions pas protégé par la délégation d’autorité parentale », témoigne-t-elle. « La légalisation de l’adoption encouragerait un regard bienveillant sur ce qui existe déjà ».

Jusqu’où aller ?

Le Dr Annabelle Bazerbes espère surtout une légalisation rapide de la PMA pour les couples de même sexe. « Des femmes font cela de manière très artisanale en prenant beaucoup de risques. Même la gestation pour autrui se fait tous les jours en France. Ma sœur me l’a proposé ! ». Mais Christiane Taubira a été ferme : « Notre projet de loi est très clair, l’accès à la PMA ne rentre pas dans son périmètre. Quant à la gestation pour autrui, elle ne sera pas légalisée », déclare-t-elle dans « la Croix ».

Les pédopsychiatres sont divisés sur le sujet. Serge Hefez voit une « aberration très mystérieuse » à accorder le droit de fonder une famille par l’adoption, mais non par la PMA. Le Pr Catherine Jousselme se montre plus réservée, et souligne que l’accès à la PMA peut difficilement être détaché de la question des mères porteuses.

*Auteur de « Le nouvel ordre sexuel : pourquoi devient-on fille ou garçon », en librairie le 1er octobre, éditions Kero.

**Auteure de « À la rencontre des adolescents » avec Jean-Luc Douillard, Odile Jacob, mai 2012, et « comment aider son enfant à bien grandir » avec Patricia Delahaie, édition Milan, Janvier 2012.

 COLINE GARRÉ

Source : Le Quotidien du Médecin: 9157