Maladie de Lyme : la HAS dévoile ses recommandations sans clore la polémique

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Publié le 20/06/2018
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Crédit photo : Phanie

La Haute Autorité de santé (HAS) a rendu publique sa recommandation de bonne pratique sur la borréliose de Lyme et les autres maladies vectorielles à tiques (MVT) ce 20 juin, une semaine après sa validation en collège, et après de nombreux rebondissements.

Il est encore trop tôt pour parler de « protocole national de diagnostic et de soins » (censé remplacer la conférence de consensus de 2006) car le texte n'a pas été officiellement validé par les sociétés savantes, dont la Société de pathologie infectieuse de langue française (SPILF), pourtant partenaire de la HAS. Elles ont jusqu'au 16 juillet pour se prononcer. Un fait révélateur des tensions qui minent le dossier.

La HAS assume la responsabilité de cette publication, refuse de « jeter à la poubelle 18 mois de travail », selon les mots de la présidente le Pr Dominique Le Guludec, et tente de jouer l'apaisement : « C'est une étape indispensable pour proposer à tous les patients une prise en charge adaptée, et pour donner aux médecins de premier recours des recommandations sur lesquelles ils peuvent s'appuyer dans leur pratique y compris dans des circonstances où les données de la science peuvent ne pas être formelles », estime le Pr Le Guludec. Comme toute recommandation de la HAS, ce texte n'est pas opposable. « Mais les recommandations ont pour effet de faire avancer les prises en charge comme on l'a vu pour l'autisme », a souligné la présidente.

Diagnostic clinique avant tout, traitement par antibiotique

Dans 95 % des cas, la borréliose de Lyme, transmise par la bactérie Borrelia burgdorferi sensu lato, prend la forme d'un érythème migrant sur la peau, qui apparaît au site de la piqûre, 3 à 30 jours après. Le diagnostic est clinique ; il est recommandé de ne pas faire la sérologie sanguine car les tests Elisa ou Western Blot ne réagissent qu'aux anticorps, que le corps n'a alors pas encore eu le temps de produire. Le traitement, le plus précoce possible, consiste en une antibiothérapie (doxycycline ou amoxicilline) pendant 14 jours.

La HAS décrit également les formes plus complexes, disséminées. Elles peuvent être dermatologiques, neurologiques, et plus rarement articulaires, cardiaques ou ophtalmologiques, et précoces ou tardives. À chaque forme, sa stratégie diagnostique et thérapeutique. Pour le diagnostic, la sérologie sanguine (Elisa dans un premier temps, puis en cas de résultat positif ou douteux, Western Blot) est recommandée, sauf pour l'érythème migrant précoce (cf ci-dessus) et à localisation multiple.

Et pour tout  traitement antibiotique, la HAS recommande de ne pas dépasser les 28 jours.

Par ailleurs, l'autorité appelle à développer de nouveaux outils diagnostiques et des PCR spécifiques aux MVT. « Il n'existe pas de test diagnostique de l'infection en cours : on peut savoir s'il y a une réponse immunitaire, mais on ne sait pas si l'infection existe, ou a existé (cicatrice sérologique) », regrette le Dr Cédric Grouchka, membre du collège de la HAS. Une évaluation de la performance des tests Elisa et Western Blot est en cours à l'Agence nationale de sécurité des médicaments, a-t-il précisé.

La HAS décrit aussi les autres MVT et leur traitement : rickettioses, tularémie, ou anaplasmose granulocytaire (via des bactéries), babéliose (parasites), ou méningo-encéphalite.

Un SPPT polémique

Le point le plus polémique de la recommandation est le chapitre consacré au « symptomatologie/syndrome persistant(e) polymorphe après une possible piqûre de tique (SPPT) ».

« Existe-t-il, au-delà des formes tardives disséminées complexes déjà mentionnées, la possibilité d'une manifestation chronique, y compris à test négatif ? Aujourd'hui, les données scientifiques ne sont pas suffisantes pour trancher », explique le Dr Grouchka. Pourtant, des patients sont en souffrance et en errance diagnostique. C'est pour les prendre en charge que la HAS créée cette entité, qui se veut un cadre sous lequel regrouper une population de patients.

Le SPPT se définit par une piqûre de tique possible, avec ou sans antécédent d'érythème migrant, et une triade clinique : syndrome polyalgique, fatigue persistante, et plaintes cognitives. Il protégerait les patients de trois risques, selon le Dr Grouchka : l'errance diagnostique, les charlatans, et l'antibiothérapie à très long terme, « une bêtise sans nom, inutile et dangereuse ».

La prise en charge recommandée consiste à faire un bilan étiologique pour éliminer la piste de maladies inflammatoires, de pathologies infectieuses ou non. Si le bilan n'aboutit à aucun diagnostic, un traitement antibiotique d'épreuve de 28 jours peut être proposé. S'il s'avère inefficace, le patient doit pouvoir entrer dans un protocole de recherche, mené dans un centre spécialisé de maladies vectorielles à tiques – et la HAS de proposer un cahier des charges de ces centres adossés à des hôpitaux, et prévus dans le Plan Lyme (au nombre de 5 a priori).

Selon le Dr Grouchka, une minorité de patients seraient concernés par ces protocoles de recherche. Il en veut pour preuve l'étude du Pr Éric Caumes présentée lors des 19es Journées nationales de l'infectiologie, qui montre que dans 90 % des cas, un diagnostic était faisable (dans 9,6 %, il s'agissait de Lyme, et dans 80 % d'autres pathologies non diagnostiquées).

Les critiques des médecins 

Ni la SPILF ni la Fédération française contre les maladies vectorielles à tiques (FFMVT) ne sont totalement satisfaites du texte de la HAS.

La SPILF conteste le chapitre concernant le SPPT « un ensemble de symptômes mal défini, qui n’existe pas dans la littérature médicale internationale et qui pourrait conduire à des excès de diagnostics susceptibles d’orienter les patients vers des prises en charge inadéquates ». La SPILF a sollicité les sociétés partenaires pour relire collégialement ces recommandations début juillet et « si besoin, faire des propositions constructives ».

« Dans l'état actuel des choses, je ne signerai pas ces recos », indique le Pr Éric Caumes au « Quotidien ». S'il salue des évolutions positives relatives à la sérologie, il reste très critique sur le SPPT « une entité qui n'existe pas, une manière de parler de Lyme chronique sans le dire ». « Nos positions sont inconciliables entre experts et associations. On n’a pas réussi à se faire comprendre en tant qu’experts et la politique a pris le pas sur la science. Or, on ne peut pas faire dire à la science ce qu’elle ne dit pas », dit-il.

Le Pr Christian Perronne, au contraire, considère que le SPPT est une avancée qui concernera des « centaines de milliers de patients » et se dit optimiste sur la parution prochaine de recherches qui iront dans ce sens. En revanche, il s'insurge de l'introduction d'un tableau (annexe 3, page 44) où l'on lit que pour l'acrodermatite chronique atrophique, la sérologie en deux temps est d'une sensibilité de 100 %.

La HAS prévoit de faire un point avec l'ensemble des acteurs concernés, dont la SPILF, la FFMVT et l'Association Lyme sans frontières tous les six mois.

Vigilance, non-anxiété

Les experts de la HAS ont rappelé les mesures de prévention en cette période estivale, en se voulant rassurants. « On peut estimer entre 3 et 15 % selon les régions la part de tiques infectées (moyenne 10 %). Sur ces 10 % de tiques infectées, lorsqu'on est piqué, on a moins de 10 % de risques de déclencher une maladie. Quand on est piqué, on a moins de 1 % de risques d'être malade », résume le Dr Cédric Grouchka. Selon les derniers chiffres de Santé publique France, on recense 50 000 nouveaux malades par an, avec une augmentation de leur nombre de 75 % entre 2015 et 2016. Les enfants (5-9 ans) et les 60-64 ans sont particulièrement touchés ; les régions concernées sont l'Alsace, le Limousin, et Rhône-Alpes. La prévention consiste à se couvrir avant une balade en forêt ou une séance de jardinage, à s'examiner après. Et en cas de rougeur, à consulter au plus tôt.

 


Source : lequotidiendumedecin.fr