Médecine et climat : « La sixième extinction provoquée par l’anthropocène avec le réchauffement climatique pourrait bien finir par s’appliquer au système complexe du corps humain »

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Publié le 19/08/2022
Émergence de nouvelles maladies, aggravation des pathologies connues, développement des épidémies, hausse de la mortalité : l’OMS, la COP26, le GIEC, et quelque 300 organisations qui représentent 45 millions de médecins dans le monde lancent l’alarme sur l’impact en santé humaine du réchauffement climatique. Durant l'été, « Le Quotidien » donne la parole aux experts, chercheurs et médecins qui décrivent, chacun dans leurs spécialités, la clinique du réchauffement. Le phénomène a déjà produit des dégâts, souligne le Pr Jean-François Toussaint, qui épingle « le mythe de l'adaptabilité physiologique ».

Crédit photo : Phanie

« Les progrès enregistrés dans toutes les disciplines au cours des deux derniers siècles ont accru tous les records, comme nos études de l’IRMES (Institut de recherche biomédicale et épidémiologie du sport) l’ont montré, observe le Pr Jean-François Toussaint, professeur de physiologie à l’Université Paris-Descartes, membre du Haut conseil de santé publique et du Conseil national de la transition écologique sur l’adaptation au changement climatique. La population générale a profité aussi de la spectaculaire amélioration des performances physiologiques, avec l’augmentation de l’espérance de vie et de l’espérance de vie en bonne santé. Les transhumanistes nous annoncent depuis quelques années qu’une médecine de plus en plus sophistiquée, couplée aux technologies nouvelles et à l’intelligence artificielle, va poursuivre sur cette lancée et repousser, encore et toujours, les limites physiques du corps humain en l’adaptant au réchauffement climatique, comme si la médecine et la technologie pouvaient changer la physiologie de l’espèce humaine. »

Saturation des facteurs de croissance

« C’est bel et bien ce qui s’est passé pendant deux siècles, depuis l’invention de la machine à vapeur par James Watt en 1769, rappelle le Pr Jean-François Toussaint : en extrayant du carbone des forêts, des mines et des gaz, l’homme a rendu le monde plus vivable pour lui. Mais, ce faisant, il a rejeté dans l’atmosphère de plus en plus de CO2, ce gaz dont les effets sur l’atmosphère se sont emballés en augmentant la température moyenne du globe terrestre avec un important temps de latence. Depuis une cinquantaine d’années, nous avons constaté à l’IRMES que nous nous sommes rapprochés d’une asymptote des plafonds, avec la saturation des facteurs de croissance des performances, dans toutes les disciplines sportives. Ce plafond a également été atteint pour l’espérance de vie de la population générale, parfois même la courbe a commencé depuis une dizaine d’années à décroître, comme on l’observe dans des pays comme la Grande-Bretagne ou la Suède. »

Fin du mythe de l’adaptabilité physiologique

« Aujourd’hui, avec les rapports du GIEC, nous sommes la première génération capable d’ouvrir les yeux sur la fin du mythe de l’adaptabilité physiologique. Nous comprenons que nous n’allons pas pouvoir modifier le génome humain et que la sixième extinction provoquée par l’anthropocène avec le réchauffement climatique, éliminant insectes, poissons, oiseaux, pourrait bien finir par s’appliquer également au système complexe du corps humain, d’ici dix, vingt, ou cinquante générations. Après avoir rendu le monde plus vivable pour lui, l’homme a fini par le rendre aujourd’hui de plus en plus invivable. Il subit les effets secondaires à long terme de ce qui lui a permis dans un premier temps de mieux se développer. Les courbes des performances physiologiques se sont inversées. Elles ne pourront pas s’inverser à nouveau avant cinquante ans, aussi rigoureuses et douloureuses que soient les mesures dites de transition énergétique, car elles se heurtent aux règles de la physiologie, qui, elles, demeurent inchangées. »


Source : lequotidiendumedecin.fr