« L’enjeu n’est plus aujourd’hui de savoir si la fibromyalgie est réelle ou pas, mais d’améliorer les conditions de prises en charge offertes aux patients », considère l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), dans une expertise collective publiée le 8 octobre (elle était attendue en 2018), à la demande de la Direction générale de la santé.
Le groupe d'une quinzaine d'experts — de la neurologie à la pharmacologie, en passant par la pédiatrie, la sociologie, ou l'économie — a analysé plus de 1 600 documents scientifiques publiés ces dix dernières années. En 2016, une commission d'enquête de l'Assemblée nationale proposait de substituer le mot maladie (utilisé par l'OMS depuis 1990) à celui de syndrome (préconisé en 2007 par l'Académie de médecine) afin de « crédibiliser la souffrance subie par les patients ». L'INSERM emploie indistinctement « la fibromyalgie ou syndrome fibromyalgique ». Surtout, elle se montre soucieuse de donner des pistes de prises en charge pluridisciplinaires et adaptées à chaque patient. « Reconnaître un syndrome fibromyalgique est nécessaire pour la mise en place d’une stratégie thérapeutique adéquate », lit-on.
Critères de l'ACR
Malgré une littérature pléthorique mais parfois défaillante, la fibromyalgie reste une réalité clinique complexe, sans marqueur biologique spécifique. Elle toucherait entre 1,4 et 2,2 % des Français. La prépondérance féminine, évidente eu égard aux premiers critères de diagnostic établis en 1990 par l'American college of rheumatology (ACR) (sexe ratio femme/homme de 13,7/1), l'est beaucoup moins depuis leur révision en 2016 (moins de 1,4/1).
Sur le plan clinique, la fibromyalgie se caractérise par des symptômes nombreux et imbriqués : douleurs chroniques diffuses, fatigue persistante (pour 75 % des patients), troubles du sommeil (de 62 à 95 %), symptômes anxieux dépressifs (60 à 85 %), troubles cognitifs ou encore condition physique altérée.
Les critères de diagnostic ne cessent d'évoluer. Ils intègrent, dans la version de l'ACR de 2016, un index de douleurs diffuses et une échelle de sévérité. Mais « les médecins connaissent peu les critères ACR et font davantage confiance à leur expérience clinique pour poser le diagnostic », lit-on. En outre les diagnostics différentiels et les comorbidités sont multiples, sans parler de la concomitance avec d’autres pathologies douloureuses.
L'étiologie de la fibromyalgie a fait l'objet de très nombreuses études ces 20 dernières années. Malgré leurs limites, « l'évolution des connaissances plaide pour une étiologie multifactorielle, permettant de la qualifier non plus de syndrome médicalement inexpliqué mais de syndrome avec douleurs nociplastiques ou dysfonctionnelles, c’est-à-dire liées à des modifications neurophysiologiques des systèmes nociceptifs centraux », est-il écrit. L'INSERM rattache la fibromyalgie à un modèle médical biopsychosocial, qui « permet de ne plus considérer comme “psychosomatiques” les souffrances pour lesquelles on ne connaît pas (encore) d’altération biologique », insistent les auteurs, en soulignant l'atteinte de la qualité de vie, dans toutes ses dimensions.
Éviter les opioïdes
En termes de recommandations, le groupe d'experts souligne la nécessité d'améliorer les procédures diagnostiques, en recourant aux critères internationaux ACR 2016. Dans la clinique, il rappelle l'importance de rechercher une fibromyalgie concomitante dans le cadre d’une maladie avec douleur chronique.
L'expertise plaide pour une prise en charge multimodale et interdisciplinaire de la personne, intégrant les aspects psychiques, sociaux et somatiques de la pathologie. Pour ce faire, elle recommande de développer les prises en charge par des infirmiers dans des maisons de santé pluriprofessionnelles, en lien avec les 243 structures douleurs chroniques (SDC) qui, elles, pourraient se concentrer sur les patients les plus fragilisés.
Elle invite à remettre le patient en mouvement, via des activités physiques adaptées, et suggère à la Haute Autorité de santé d'ajouter un référentiel consacré à la fibromyalgie, aux outils qui existent déjà pour six pathologies chroniques. Elle promeut les psychothérapies pour les patients ayant des difficultés à gérer la fibromyalgie ou des comorbidités psychopathologiques ou psychiatriques. Elle déconseille en revanche les thérapies médicamenteuses. « Si des médicaments peuvent s'avérer ponctuellement efficaces contre certains symptômes, il faut éviter la prescription d'opioïdes », lit-on.
Sortir du nomadisme médical
Enfin les experts insistent sur la nécessité de mieux former les professionnels de santé. Le ministère de la Santé promet de favoriser les projets de recherche sur la fibromyalgie et les douleurs chroniques dès 2021.
« C'est une expertise très riche. Nous espérons que les patients seront crus et sortiront du nomadisme médical et qu'une vraie prise de conscience se fera chez les soignants, et au sein du médico-social », commente Carole Robert. La présidente de l'association Fibromyalgie France attend néanmoins leur mise en œuvre concrète et financée, et déplore que la piste environnementale ne soit pas explorée.
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