Prise en charge des victimes, pénuries, risques infectieux : l’OMS s'alarme des urgences sanitaires à couvrir en Ukraine

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Publié le 07/03/2022

Crédit photo : AFP

Pénuries de médicaments et d’équipements médicaux, risques infectieux, prise en charge des traumatismes physiques et psychiques, difficultés d’accès aux soins… Alors que le corridor humanitaire qu’elle réclame pour l’Ukraine n’est toujours pas en place, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) détaille dans un rapport publié le 5 mars les principaux risques et besoins auxquels le pays fait face en matière sanitaire depuis l’invasion russe sur son territoire.

Au 4 mars, plus de 18 millions de personnes ont été affectées par le conflit, plus d'un million de réfugiés sont arrivés dans les pays voisins, la majorité en Pologne, et 160 000 Ukrainiens se sont déplacés à l’intérieur du pays. Le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) estime que le nombre de réfugiés pourrait atteindre 4 millions d'ici juillet 2022.

Entre le 24 février et le 2 mars, 802 victimes civiles, dont 249 morts (au moins 15 enfants), ont été enregistrées par le Haut Commissariat aux droits de l'homme (HCDH). Un bilan provisoire probablement sous-estimé, indique l’OMS, le ministère ukrainien de la santé ayant de son côté recensé plus de 2 000 victimes sur la même période.

Lors d’un point presse le 2 mars, Tedros Adhanom Ghebreyesus, le directeur général de l’OMS, se disait « profondément préoccupé par les signalements d'attaques contre des hôpitaux et des installations sanitaires », alors qu’au moins une attaque contre un hôpital a été confirmée, faisant 4 morts et 10 blessés, dont 6 soignants.

Un système de santé à bout de souffle

Plus de 200 établissements de santé sont dans une zone de conflit ou à proximité, compliquant l’accès aux soins déjà fortement perturbé par les difficultés de déplacement et les nombreuses pénuries, du carburant aux médicaments.

L’OMS rapporte « déjà de terribles avertissements concernant la disponibilité de lits pour les traumatismes et d'autres affections », alors que le système de santé, « déjà mis à rude épreuve par la pandémie », souffre « d'un manque d'entretien et de vieillissement du matériel médical », d’une pénurie de personnel et de « perturbations dues aux récentes réformes de la santé ». L'une des craintes de l’OMS est de voir le manque de personnel s’aggraver pour des raisons de sécurité et de déplacements de population.

Pour l’heure, les autorités sanitaires ukrainiennes orientent l’ensemble du système de santé vers les soins de traumatologie. Mais un rapport du bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’OMS, « Ukraine Health Cluster », publié le 3 mars, alerte sur les nombreux risques et besoins de santé exacerbés par le conflit. « La continuité des soins est un défi majeur pour les patients nécessitant un traitement à long terme, y compris ceux ayant des besoins médicamenteux à long terme pour des affections telles que le diabète et l'hypertension, ou encore les patients atteints de cancer », avertit le document.

L’inquiétude porte également sur une résurgence de l’épidémie de Covid-19. Plus de 240 000 cas et 1 300 décès étaient signalés la semaine du 21 au 27 février, soit une diminution de 43 % par rapport à la semaine précédente. Mais le dépistage à la baisse fait craindre une « transmission continue probablement importante et non détectée », dans un contexte de faible couverture vaccinale et de pénuries critiques d'oxygène, alors que trois usines de production du pays sont à l’arrêt.

VIH, choléra, polio… : des craintes de reprise épidémique

D’autres maladies infectieuses inquiètent, alors que l’Ukraine a une prévalence du VIH et de la tuberculose, y compris la tuberculose résistante, parmi les plus élevés d'Europe. Les 250 000 personnes vivant avec le VIH en Ukraine, dont 156 000 suivent une thérapie antirétrovirale, « n’ont plus que quelques semaines de thérapie antirétrovirale et leur vie est en jeu si l’accès [aux médicaments] est interrompu », alerte la directrice exécutive de l’Onusida, Winnie Byanyima, dans un communiqué, soulignant que le conflit met à mal « les efforts et les progrès accomplis dans la riposte au VIH ».

La destruction généralisée des infrastructures d'assainissement de l’eau, les mouvements de population et le surpeuplement font par ailleurs redouter un risque épidémique lié au choléra. L'Ukraine est le dernier pays européen à avoir déclaré une épidémie, avec 33 cas en 2011 à Marioupol (oblast de Donetsk). « Les risques liés aux forces armées russes, récemment exposées dans des pays où le choléra est endémique, doivent être pris en compte », est-il noté.

L’Ukraine a également une couverture vaccinale sous-optimale pour la poliomyélite (80 % en 2021) et la rougeole (82 %). En 2021, 16 cas de rougeole ont été signalés et le pays a connu une épidémie à l'échelle nationale entre 2017 et 2020 (115 543 cas et 40 décès).

Concernant la poliomyélite, une épidémie a été confirmée en 2021, le poliovirus circulant était dérivé d'une souche vaccinale de type 2. L’épidémie a fait « deux paralytiques (détectés en octobre et décembre 2021), et un total de 21 personnes dans deux oblasts (Rivne et Zakarpattya) avec des échantillons de selles positifs au cVDPV2 », est-il précisé. La campagne de vaccination, ciblant les enfants de 6 mois à 6 ans et lancée en février, a été suspendue, « augmentant le risque de propagation ultérieure ».

Enfin, la santé mentale de la population est bien évidemment affectée par le conflit. L’OMS s’attend à une « exacerbation des problèmes de santé mentale chroniques » et à des « niveaux élevés de trouble de stress post-traumatique (TSPT) », mais aussi de dépression et d'anxiété.

La Pologne, « plaque tournante » de l’OMS

En réponse à ces différents enjeux, l’OMS travaille à compléter sa première cartographie des besoins et cherche à coordonner les opérations sanitaires. Ses effectifs ont été renforcés en Moldavie, en Roumanie, mais surtout en Pologne, où elle implante sa « plaque tournante » à la frontière afin d’acheminer l’aide médicale et déployer « des équipes expertes en logistique, communication, santé mentale, intervention sanitaire d'urgence et réponse humanitaire ».

Une première livraison de 36 tonnes de fournitures médicales (pour répondre aux besoins d'une population de 150 000 personnes et 1 000 patients nécessitant des soins chirurgicaux) y a été expédiée le 4 mars avant d’être acheminée par voie terrestre en Ukraine. « Une deuxième cargaison est en route », indique l’OMS, alors que 500 concentrateurs d'oxygène sont également en cours d'acheminement aérien et que 600 doses d'antitoxine tétanique sont déjà parvenues à Lviv. L’organisation, qui a par ailleurs débloqué 5,2 millions de dollars de son fonds de réserve pour les urgences, estime les besoins à 45 millions de dollars pour les 3 prochains mois.


Source : lequotidiendumedecin.fr