Si une proportion importante de mineurs non accompagnés (MNA) souffre de psychotraumatisme (37 %) et de dépression (12 %), les troubles les plus représentés dans cette population sont des troubles réactionnels à la précarité des conditions d'accueil et de vie en France (50 %), considèrent Médecins sans frontières (MSF) et le Comité pour la santé des exilés (Comede) dans un rapport publié ce 9 novembre.
Ce dernier est fondé sur l'expérience des psychologues au sein du centre d'accueil de jour de Pantin, où sont accompagnés les jeunes étrangers d'abord déclarés majeurs et qui tentent de faire reconnaître leur statut de MNA devant la justice. Les associations ont créé en 2017 une consultation psychologique pour répondre à leurs besoins, alors qu'ils n'ont pas le droit à l'Aide sociale à l'enfance. Quelque 337 jeunes (en majorité Africains) ont bénéficié d'un suivi psychologique entre décembre 2017 et juin 2021 ; sont aussi proposés des groupes de prévention ou à médiations thérapeutiques. Sur cette période, 6 412 interventions psychologiques ont été recensées.
Réaction à la précarité et au non-accueil
« Les psychologues de MSF et du Comede ont observé que 50 % des jeunes qui composent la cohorte bénéficient d’un suivi psychologique sans pour autant présenter un tableau clinique relevant du psychotraumatisme ou de la dépression », lit-on. Après une première phase d'anxiété majeure, ces jeunes éprouvent des symptômes tels qu'une humeur triste, de l’anxiété, des troubles du sommeil (insomnies), des troubles de la concentration, des attitudes de retrait social, un épuisement physique et psychique, un sentiment d’impossibilité à faire face, à faire des projets ou à continuer dans la situation actuelle, des idées suicidaires pour certains. « D’après la classification internationale des maladies (CIM-10), le diagnostic le plus adapté pour qualifier ce type de trouble psychique est "réaction à un facteur de stress sévère" », est-il précisé. Il y a « un ensemble de symptômes qui font syndrome », résume Laure Wolmark, chargée du sujet au Comede.
Selon les psychologues des ONG, « il est possible de lier l’apparition de ce trouble à la précarité des conditions de vie en France puisqu’il a été observé que les symptômes cessent lorsque les jeunes sont pris en charge dans un environnement sécurisant et adapté à leurs besoins, dans le cadre de la protection de l’enfance ».
À côté de ce « nouveau trouble », les psychologues incriminent la précarité et la « politique du non-accueil » comme facteurs aggravants des troubles préexistants chez les MNA, que sont les psychotraumatismes et la dépression, liés par ailleurs à des parcours d'exil violents ou à des deuils. « La plupart des dépressions diagnostiquées par les psychologues de MSF et du Comede (sur les 12 %, 62 % sont des dépressions aiguës, 32 % des chroniques) sont liées à un deuil pathologique induit par le décès d’un parent dans le pays d’origine ou d’un accompagnant sur la route de l’exil. Toutefois, la dépression chez les MNA peut également être liée à la longueur et à l’incertitude des procédures administratives », est-il précisé.
Obstacles dans l'accès aux soins
Malgré ces difficultés psychologiques spécifiques, les MNA trouvent difficilement le chemin des soins de santé. Les raisons sont multiples, à commencer par l'isolement des MNA, qui signifie l'absence de représentant légal. « Cette absence est souvent évoquée par les soignants comme un motif de refus de prise en charge des MNA », est-il écrit dans le rapport. Il devient en effet impossible de répondre à l’obligation de recueil du consentement des représentants légaux du jeune, ou encore d'organiser une hospitalisation en psychiatrie.
Les soignants peuvent aussi se sentir démunis face à la précarité de ces jeunes en grande majorité sans domicile fixe (SDF). « Les services de soins, notamment les centres médico-psychologiques (CMP) et les centres médico-psychologiques pour enfants et adolescents (CMPEA), devraient prendre en charge les MNA, même SDF, mais certains services invoquent la sectorisation pour ne pas le faire », dénonce le rapport.
La langue (et le recours hétérogène à l'interprétariat professionnel), les longs délais d'attente, l'absence de domiciliation administrative des jeunes compliquent encore leur accès aux soins. Sans oublier que tous les professionnels de santé ne sont pas aguerris à la clinique de l'exil, qui suppose une prise en charge globale, multidisciplinaire et transculturelle.
Plaidoyer pour la création de lieux de soins communs pour la jeunesse
En réaction, MSF et le Comede plaident en faveur du renforcement des capacités d'accueil des MNA au sein du dispositif de droit commun, par exemple en créant des lieux de soins dédiés à la jeunesse (12-25 ans), non sectorisés, d'accès inconditionnel. Comme les maisons des adolescents, malheureusement peu nombreuses et pas toujours sensibilisées aux problématiques des MNA, selon le rapport.
Plus largement,les ONG demandent l'intégration des MNA dans le régime général de la sécurité sociale, et leur accès aux consultations psychologiques remboursées, au centre de référence en psychotraumatologie et aux CMP classiques.
Elles appellent à améliorer le repérage des troubles psychiques des MNA en développant les politiques d'aller vers (par exemple en systématisant la présence des psychologues dans leurs lieux de vie et d'hébergement) et en organisant des bilans de santé complets. Enfin, elles demandent d'établir la présomption de minorité comme cadre directeur de la prise en charge des MNA, faute de quoi la question de l'âge et l'approche administrative passent avant le soin.
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