Contre la sous-déclaration des infanticides

Vaincre leurs réticences des médecins à signaler les décès suspects

Publié le 22/04/2014
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Le flou qui entoure le phénomène s’installe dès sa définition. En santé publique, on distingue infanticide (homicide au cours de la première année de la vie) et néonaticide (dans les 24 premières heures de vie), tandis que pour la justice le terme infanticide englobe les deux notions.

Les données chiffrées sont parcellaires et marquées par l’incertitude. Depuis 1990, la mortalité infantile a chuté, en particulier le nombre de morts inattendues du nourrisson (MIN) : leur taux est passé de 182 (pour 100 000 naissances) en 1990 à 76 en 1995 puis à 29 en 2010. Mais Anne Tursz relative cette évolution, en rappelant que la pratique de l’autopsie n’est pas systématique en cas de MIN et qu’il n’y a aucune statistique nationale sur le taux d’autopsie par âge et par pathologie. Elle en veut pour preuve les différences significatives entre les statistiques officielles du CépiDc (Centre d’épidémiologie des causes médicales de décès de l’Inserm), et les données des hôpitaux et des tribunaux de trois régions françaises, mises en évidence dans une étude portant sur la période 1996-2000. Le nombre d’infanticides s’élevait à environ 255 par an en moyenne selon l’enquête hospitalière, contre 17 selon le CépiDc, tandis que le taux annuel moyen de néonaticides était de 2,1 pour 100 000 naissances, selon l’enquête judiciaire, contre 0,39 pour le CépiDc.

Aversion de voir

Cette sous-estimation des infanticides s’explique d’abord par une « aversion de voir », concept forgé par des pédiatres américains pour dire l’incapacité à imaginer l’horreur du meurtre d’un enfant par ses parents. En outre, les hôpitaux comme les tribunaux tendent à sous investiguer les cas, surtout en l’absence de lésions externes visibles sur le corps de l’enfant. Les magistrats sont tributaires de l’expertise médico-légale, insuffisante au sujet du petit enfant.

Depuis 2000, les progrès ne sont pas négligeables, reconnaît l’auteure. Une enquête de l’Institut national de veille sanitaire sur la prise en charge des MIN dans les centres de référence en 2007-2009 montre qu’un faible nombre d’enfants n’a été ni inclus ni exploré, dans 17 départements volontaires. Pourtant, plus de la moitié des décés restaient classés comme non expliqués.

Dépister les familles vulnérables

Selon Anne Tursz, des améliorations sont nécessaires en matière d’articulation et de transmission de l’information entre hôpitaux, instituts médico-légaux et centres de référence.

Les médecins sont aussi appelés à vaincre leurs réticences à signaler les décès suspects à la justice : peur du signalement abusif, retranchement derrière le secret médical (alors que le signalement est obligatoire), peur de perdre sa clientèle, empathie avec les familles, crainte d’échecs de la protection de l’enfance, incapacité à se dessaisir d’un cas (pour une équipe pluridisciplinaire hospitalière), et last but not least, problème de formation à la séméiologie de la violence envers les nourrissons.

Pourtant les conséquences d’un défaut de signalement sont lourdes : répétitions et répercussions à l’âge adulte sont à craindre. En conclusion, la chercheuse incite les professionnels à favoriser l’attachement précoce entre les parents et le bébé, pour rompre le cercle vicieux de la transmission transgénérationnelle de la violence. L’entretien du 4e mois de grossesse est à cet égard un outil clef permettant de dépister les familles vulnérables.

Coline Garré

Source : Le Quotidien du Médecin: 9320