Le médecin est le premier interlocuteur des victimes de violences conjugales. C'est vers lui que se tourne la petite majorité des femmes qui arrivent à en parler : 30 % consultent un psychiatre ou un psychologue, 27 % un médecin, avant les services sociaux (21 %) ou les associations (10 %). Sans compter que la femme rencontre des soignants à des moments cruciaux de sa vie : contraception, interruption volontaire de grossesse, grossesse (près de 2 % des femmes enceintes subiraient des violences physiques selon l'Inserm)
Les soignants sont-ils formés à accueillir une telle parole ? Doivent-ils la provoquer ? Oui, selon des militantes pionnières de la lutte contre les violences faites aux femmes. « Cela fait 30 ans qu'on dit que les médecins doivent oser poser la question à leur patiente », s'exclame le Dr Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol (CFCV). Une proposition qu'on retrouve en effet dans le rapport du Pr Roger Henrion en 2001. Les actrices de la lutte contre les violences faites aux femmes plaident même pour une systématicité de ce questionnement, afin de le normaliser, et de ne pas passer à côté des cas les plus dramatiques, ceux où la femme donne le change.
« Peu importent les mots qu'il emploie, le médecin doit savoir si la femme a subi des violences, est en danger, ou présente des séquelles », explique le Dr Emmanuelle Piet.
Des outils
Si le sentiment d'impuissance et la crainte d'une ingérence ont longtemps été allégués pour expliquer la passivité du corps médical face au phénomène, la mise à disposition d'outils change la donne.
Le site stop-violences-femmes.gouv.fr propose des kits de formation détaillant le mécanisme des violences conjugales, les stratégies de repérage puis de prise en charge. Un modèle de certificat médical initial est également disponible. Élaboré avec l'Ordre des médecins après la mésaventure d'une sage-femme traduite devant les instances disciplinaires de son Ordre à la suite d'une plainte d'un mari pour violation du secret professionnel, ce modèle protège le médecin de toute judiciarisation.
La notice associée rappelle la conduite à tenir : affirmer que les violences sont inacceptables et interdites par la loi, informer la victime de ses droits et de la possibilité de se rapprocher d'associations ou du 3 919 et de porter plainte, évaluer le danger et proposer une nouvelle consultation dans un délai court. « C'est la base. Il faut aussi se soucier des enfants. Le médecin doit donner le maximum d'informations car on n'a jamais la certitude qu'une femme ira voir une association », commente le Dr Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l'association Mémoire traumatique et victimologie.
Formations et mentalités à changer
Selon les interlocuteurs sollicités par « Le Quotidien », les pratiques médicales changent ; quelque 500 référents ont été formés et installés dans les services d'urgence.
Mais les formations des soignants font encore défaut. « L'enseignement varie selon les facultés », déplore Ernestine Ronai, ancienne coordonnatrice nationale de la lutte, malgré l'intégration en 2013 d'un item « violences sexuelles » à l'examen classant national. « Rares sont les professionnels qui savent évaluer le danger. Les psychiatres ne sont pas systématiquement formés à la psychotraumatologie ! », s'insurge le Dr Salmona.
Elle regrette aussi l'insuffisance de centres spécialisés dans le psychotraumatisme tandis que le Dr Piet appelle à une meilleure coordination entre les différents acteurs pour accueillir les femmes victimes de viol et violences (à l'image de la Maison des femmes de l'hôpital de Saint-Denis, fondée par le Dr Ghada Hatem). En ce sens, la possibilité de porter plainte à l'hôpital devrait être généralisée à partir du 25 novembre, a annoncé le gouvernement en ouverture du Grenelle.
Plus largement, c'est le regard de la société tout entière sur la parole des femmes qui doit évoluer, plaident enfin les militantes, sans quoi les lois resteront lettres mortes. « Malgré la littérature scientifique, la France n'a pas encore compris qu'il s'agit d'un problème de santé publique », déplore le Dr Salmona. Là serait le vrai défi de ce Grenelle. Qui pourrait aussi être l'occasion de s'interroger sur la prise en charge… des auteurs de violences.
Cancer colorectal chez les plus de 70 ans : quels bénéfices à une prise en charge gériatrique en périopératoire ?
Un traitement court de 6 ou 9 mois efficace contre la tuberculose multirésistante
Regret post-vasectomie : la vasovasostomie, une alternative à l’AMP
Vers un plan Maladies rénales ? Le think tank UC2m met en avant le dépistage précoce