Voté dans la loi de financement de la Sécurité sociale 2023, l’ajout d’une année au diplôme d’études spécialisées de médecine générale concernera la promotion qui débutera l’internat à l’automne 2023. Le ministère de la Santé et de la Prévention vient de rendre les arbitrages qui préfigurent la structure et les conditions du futur DES. Décryptage.
Et de quatre qui font dix. Il faudra désormais dix ans d’études de médecine pour devenir médecin généraliste. Pour les futurs médecins qui débuteront l’internat de médecine générale à l’automne 2023, celui-ci durera quatre ans. L’ajout d’une 4e année au diplôme d’études spécialisées (DES) de médecine générale était un secret de polichinelle. Les textes de la réforme du troisième cycle de 2017 prévoyaient cette possibilité et, après des années de désaccords entre enseignants et étudiants sur le sujet, ces derniers semblaient enfin disposés à travailler main dans la main avec les ministères sur la future maquette.
Malgré tout, l’officialisation et l’intégration de la mesure dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2023 ont fait l’effet d’une bombe. Il faut dire que les annonces dans la presse ont pu inquiéter à plusieurs titres les jeunes médecins sur la nature du projet et ont forcé le ministère à essayer de rattraper dans un premier temps un faux départ sur la communication. La méthode choisie ensuite, avec le passage par le PLFSS et l’usage du 49-3, aura fini de braquer les étudiants, qui se sont mobilisés par des grèves et dans la rue contre la mesure. Mais rien n’y a fait : en décembre, la mesure est validée dans la loi de financement et la 4e année d’internat sera bien ajoutée dès la rentrée 2023-2024.
Au moment de l’annonce de la mesure en septembre, le ministre de la Santé, François Braun, a confié une mission de concertation à quatre personnalités : le Pr Olivier Saint-Lary, président du Collège national des généralistes enseignants, la Pr Nanou Bach-Nga Pham, doyenne de la Faculté de médecine de Reims, le Pr Stéphane Oustric, président du Conseil de l’ordre des médecins de Haute-Garonne et Mathilde Renker, interne en médecine générale ancienne présidente de l’Intersyndicale nationale des internes en médecine générale, l’Isnar-IMG.
Ils étaient chargés de mener des concertations et de formuler des recommandations sur la mise en place de cette 4e année. Le fruit de leur travail a été remis aux ministères de tutelle en début d’année mais, alors que François Braun s’était engagé à faire paraître les textes réglementaires avant les épreuves classantes nationales informatisées (ECNi) 2023, les arbitrages se sont fait attendre, crispant un peu plus les étudiants qui demandaient un report.
Finalement, c’est une semaine avant les ECNi, qui débutent ce lundi, que les contours du nouvel internat de médecine générale ont été révélés. À une ou deux exceptions près, le ministère a décidé de retenir l’essentiel des recommandations du rapport.
➔ Une nouvelle maquette
Qui dit ajout d’une 4e année au DES de médecine générale dit apparition d’une phase de consolidation dans la maquette de l’internat. C’est à celle-ci que correspondra cette année supplémentaire. Mais la réforme ne se contente pas d’ajouter un bloc en fin d’internat. La maquette a été repensée.
Si la phase socle (première année d’internat) est inchangée, la phase d’approfondissement a été revue (2e et 3e années). Au lieu de six mois en santé de la femme et six mois en santé de l’enfant, ces stages seront couplés sur un semestre. La nouvelle maquette offre aux internes l’opportunité de réaliser un stage libre sur un semestre. Malgré tout, celui-ci devra pouvoir s’intégrer dans le champ de l’exercice professionnel de la médecine générale, et le ministère a souhaité aller plus loin que les recommandations du rapport et flécher quatre thématiques prioritaires pour ces stages : la santé de la femme, de l’enfant, de la personne âgée ou la santé mentale.
Pour la phase de consolidation qui correspond donc à la 4e année, elle a vocation à être professionnalisante. Les internes réaliseront cette dernière année de DES sous le statut de docteur junior. Elle se composera de deux stages de six mois en ambulatoire, avec deux choix semestrialisés. Malgré tout, comme le souligne le Pr Saint-Lary, « dans la mesure du possible, lorsque le docteur junior est satisfait et le maître de stage également, nous encourageons un renouvellement du stage afin de favoriser l’ancrage sur le territoire et faciliter l’installation ».
Même si cette 4e année a vocation à se faire en ambulatoire, une demande forte des internes était de permettre malgré tout des dérogations pour des stages hospitaliers pour certains selon leur projet professionnel. Cette possibilité sera donc ouverte sous réserve d’un projet argumenté et encore une fois en cohérence avec le métier de généraliste. Le Pr Olivier Saint-Lary évoque par exemple des projets d’exercice mixte dans des territoires qui ont besoin de médecins dans des hôpitaux locaux.
La nouvelle maquette fera aussi la place à de nouveaux enseignements. La mission a proposé un certain nombre d’axes et de former davantage les futurs généralistes sur, notamment, l’organisation du système de santé pour connaître la place et le rôle de l’ensemble des acteurs, la permanence des soins ambulatoires, les missions de santé publique des médecins, l’éthique et la déontologie médicale et le numérique en santé. Un module sera mis en place sur l’entrée dans la vie professionnelle. Enfin, le rapport de la mission préconise d’initier les internes à la pédagogie médicale pour qu’ils deviennent à leur tour maîtres de stage une fois installés.
➔ Les conditions de stage
C’était une des grandes inquiétudes des étudiants à l’annonce du projet. Ces derniers ne voulaient pas se retrouver envoyés dans des territoires qu’ils ne connaissaient pas, sans encadrement, pour travailler seul dans des locaux. Des ajouts par des amendements dans la LFSS avaient déjà confirmé que pendant cette année, les docteurs juniors seraient bien encadrés par un maître de stage des universités (MSU).
Ceci dit, ils ne seront pas forcément amenés à consulter dans les mêmes locaux. « Une de nos peurs portait aussi sur le fait de se retrouver dans des préfabriqués avec juste un ordinateur, un fauteuil et personne d’autre, souligne Théophile Denise, vice-président de l’Isnar-IMG. Même si nous n’avons pas le texte qui l’encadre, nous sommes rassurés car nous avons eu confirmation que nous serions dans des structures de soins qui accueillent déjà au moins un médecin thésé (pas forcément le MSU, ndlr). Ce qui veut dire que ce sont des structures déjà fonctionnelles, mais aussi qu’à travers ce médecin, on peut avoir un accès aux professionnels paramédicaux, aux spécialistes, etc. ».
➔ La rémunération
C’est sans doute l’élément le plus novateur de cette réforme et le point de satisfaction principal pour les internes. Conformément aux demandes des étudiants et aux recommandations de la mission, une part de la rémunération des docteurs juniors pour cette 4e année sera à l’acte. En plus de leur rémunération de base de docteur junior, qui se monte à 1 900 euros, une rétrocession de 20 % du montant des honoraires réalisés sera perçue par les IMG, dans la limite d’un plafond de 30 consultations par jour et d’un plancher de 10 consultations quotidiennes.
« C’est une annonce révolutionnaire. C’était une de nos demandes et, pour nous, c’est la reconnaissance du travail qu’on effectue lorsque nous sommes en cabinet », réagit Théophile Denise.
Dans une logique d’incitation plutôt que de coercition, les internes en zone d’intervention prioritaire (ZIP) percevront une prime de 400 euros. Enfin, les docteurs juniors seront aussi rémunérés dans le cadre de leur participation à la PDSA. Pour l’ensemble de ces rémunérations, le salaire mensuel net des IMG sera plafonné à 4 500 euros, précise le ministère, ce qui correspond au salaire d’un praticien hospitalier débutant.
➔ Participation à la PDSA
Annonce surprise de la réforme, la participation à la permanence des soins ambulatoires (PDSA) sera obligatoire pour les docteurs juniors. Les internes, comme la mission, demandaient la possibilité pour les internes d’y participer, François Braun a finalement décidé d’aller plus loin. Cette annonce, alors que la PDSA n’est pas obligatoire pour les médecins installés, soulève de nombreuses questions quant à son organisation.
« L’organisation est très différente selon les territoires mais elle se fait par des professionnels qui connaissent les lieux, pas par des internes qui changent tous les six mois. Et dans certaines villes, ce sont des structures comme SOS Médecins qui s’en chargent… Qui va nous encadrer ? Sur quels territoires ? Celui de notre MSU ? Et s’il ne fait pas lui-même de PDSA ? », s’interroge Théophile Denise.
Pour le moment, François Braun a simplement souligné que les internes pourront « à tout moment solliciter un médecin généraliste d’astreinte en cas de question durant leur garde ».
➔ Encadrement
Une des clés de la réussite pour la mise en place de cette réforme est un nombre d’encadrants suffisant, que ce soit du côté des MSU ou des enseignants. La spécialité reste en effet derrière les autres en termes de ratio enseignants/étudiants. Par ailleurs, malgré plus de 12 000 MSU aujourd’hui, ce nombre est toujours insuffisant, selon les étudiants, pour encadrer une « promotion » supplémentaire.
Le ministère a donc annoncé un objectif de 16 000 MSU pour 2026. Pour ce faire, des évolutions réglementaires sur le financement dans le cadre de la formation continue seront mises en place pour soutenir la formation des MSU. En attendant, les mesures dérogatoires pour que le financement de ces formations via le développement professionnel continu (DPC) se poursuive en hors quota sont sécurisées, a annoncé le ministre de la Santé.
Côté effectifs enseignants, la mission a fait plusieurs recommandations et demande un plan de nomination quinquennal. François Braun, sans plus de détails, assure que le nombre d’enseignants titulaires de médecine générale et le nombre d’enseignants associés augmentera.
➔ Un délai raccourci pour la thèse
L’ajout d’une phase de consolidation implique pour les internes de passer leur thèse avant l’entrée dans cette 4e année. Jusqu’à présent, les internes en médecine générale avaient jusqu’à trois ans après validation de leur dernière phase pour passer la thèse.
Ce changement de calendrier inquiète. « L’encadrement des thèses pose problème aujourd’hui donc ça paraît compliqué d’imaginer qu’il y aura suffisamment de directeurs de thèses, de dates, pour que tout le monde puisse soutenir avant la 4e année », souligne Théophile Denise.
Sur recommandation de la mission, une dérogation sera accordée pour les promotions qui démarreront l’internat en 2023, 2024 et 2025 afin que les internes puissent soutenir lors de la 4e année. Malgré cet aménagement, « cela va demander un effort pour les départements de médecine générale qui vont devoir travailler d’arrache-pied pour que ces objectifs puissent être tenus », reconnaît le Pr Saint-Lary. Pour accompagner cet effort et l’augmentation du nombre de directeurs de thèse, la mission a demandé que la formation à la direction de thèse puisse entrer dans le cadre des formations financées sur l’enveloppe DPC de développement à la maîtrise de stage. Elle préconise aussi une indemnisation des directeurs de thèse qui ne sont pas enseignants universitaires par ailleurs. L’arbitrage des ministères n’a pas encore été rendu sur ces points.