Dossier

Patientèle à vendre

Ca eut payé

Publié le 10/11/2017
Ca eut payé

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ADAM GAULT/SPL/PHANIE

Les patientèles de médecins généralistes se vendent-elles toujours ? Beaucoup moins bien que par le passé, voire plus du tout dans certains endroits. Ceux qui dévissent leur plaque… sont payés pour le savoir ! Pour autant, ces listes de patients représentent-elles toujours un élément du patrimoine des généralistes ? Existe-il des critères spécifiques favorisant leur revente ? Tour d’horizon du bénéfice potentiel des futurs retraités.

L’absence de données chiffrées rend difficile l’estimation du nombre de patientèles vendues annuellement en France. Mais il semble loin le temps où les médecins généralistes partaient en retraite avec en poche un pécule confortable lié à la valeur de leur carnet d’adresses, où l’on pouvait lire sur les plaques : “Dr X, successeur du Dr Y”. Plus vraiment question, donc, de compter sur la revente de sa patientèle pour arrondir sa retraite.

Luc Fialletout, directeur général d’Interfimo, qui finance les professions libérales depuis près de 50 ans, est peu encourageant : « Il est impossible pour la majorité des praticiens de céder leur cabinet à un successeur ». Ce spécialiste assure que les conséquences sont lourdes pour les médecins en fin de carrière qui comptaient sur ce capital pour améliorer leur retraite. À tel point que certains d’entre eux ont même des difficultés à revendre leurs locaux professionnels ou mixtes.

D’après une étude Interfimo publiée en janvier 2016 sur le prix de cession d’une centaine de cabinets médicaux (1), leur valeur vénale a sérieusement chuté en quelques années. Aujourd’hui, le prix de cession s’inscrit dans une fourchette de 26 à 61 % du chiffre d’affaires annuel. Les généralistes qui parviennent à céder leur cabinet vendraient mieux s’il est situé dans la moitié sud et ensoleillée de l’Hexagone. Les taux de transaction les plus élevés concernent en effet le Sud-Ouest et le Sud-Est, ailleurs, certaines ventes se négocient à moins de 15 % du CA !

Mais ces chiffres issus de l’étude Interfimo concernent uniquement les cabinets ayant trouvé acquéreur et font l’objet d’un financement. Car, sur le terrain, la revente de patientèle, lorsqu’elle a lieu, se réduit à une poignée de territoires essentiellement urbains, nous explique le Dr Yannick Schmidt, vice-président de ReAGJIR (2). Ailleurs, les patientèles se donnent, et encore, à la condition que la région bénéficie d’un quelconque attrait.

De moins en moins de transactions

Comment expliquer cet effondrement des transactions et des prix ? Pour Luc Fialletout, la féminisation de la profession de généraliste, la réticence des jeunes pour l’exercice libéral et ­– quand elles ont lieu – les installations de plus en plus tardives seraient les principales responsables. S’ajoute le fait qu’à l’inverse de leurs aînés, les jeunes ne projettent plus de s’installer à vie au même endroit. Dans ce contexte, pas question d’investir des sommes astronomiques pour quelques années d’exercice avec, de surcroît, le risque d’une patientèle volatile. Car, il faut le dire, celle-ci n’est plus aussi fidèle qu’autrefois.

Le Dr Aymar Rambaud, généraliste dans la région d’Aurillac (Cantal), appartient à cette génération où l’on achetait encore sa patientèle. Pendant un an, entre fin 1985 et 1987, il remplace le médecin en poste et finit par lui "racheter" ses patients. Il verse pour cette acquisition la moitié de son chiffre d’affaires annuel, reste deux années dans ses murs et opte enfin pour l’achat d’un cabinet. L’investissement de départ est lourd, mais le Dr Rambaud assure n’avoir à l’époque pris aucun risque. « J’avais remplacé le médecin en poste pendant un an et je n’avais aucune crainte d’être perdant », se souvient-il.

D’ailleurs, il conseille vivement de remplacer avant d’acheter, « pour savoir si l’on se plaît dans la région, si le cadre de vie personnel et professionnel convient, si on s’entend avec les patients… ».

Mais son expérience appartient au passé : « Je reçois entre 35 et 40 personnes par jour. Ici, tout le monde travaille beaucoup. Nous manquons de médecins. Il n’y a pas d’intérêt à s’endetter pour acheter une patientèle. » D’autant que des aides viennent accompagner financièrement les candidats à l’installation dans les déserts médicaux. Mis à disposition par les mairies, des logements ou locaux viennent compléter les subventions. « Même si le nombre de patients est limité en début d’exercice, la rémunération de ces généralistes est compensée par les aides et finit par rejoindre celle d’un médecin qui enchaîne les consultations », constate avec un peu d’amertume le Dr Rambaud.

Installé en Savoie depuis juillet 2016, le Dr Clément Drubay préside l’Association ARPEGe (3), plateforme Internet de mise en relation qui vient en aide aux médecins généralistes en recherche de remplacements ou de remplaçants. À sa connaissance, aucune vente de patientèle n’a été recensée depuis des années dans sa région. « La situation de l’offre et de la demande a beaucoup évolué ces trois dernières décennies. Certaines régions très attractives comme celle d’Annecy voient arriver un flux régulier de médecins. Mais par rapport à la demande, il reste insuffisant, et la région manque de généralistes. »

Conséquence directe, aucune transaction n’a été enregistrée depuis longtemps dans les alentours. Lorsqu’il s’est installé, le Dr Drubay a tout simplement repris la patientèle de son prédécesseur. « Je n’ai rien déboursé pour les patients du cabinet dans lequel je me suis installé. Mon prédécesseur a surtout été content de leur trouver un successeur ! », se souvient-il. À défaut de sérénité financière, le futur retraité se contentera d’une tranquillité d’esprit.
 

Lorsqu’elle a lieu, la revente de patientèle se réduit à une poignée de territoires essentiellement urbains.

Valoriser murs, matériels et organisation

D’après les chiffres du groupement ReAGJIR (voir graphique), un tiers des jeunes installés rachètent, malgré tout, d’une manière ou d’une autre, une part du cabinet dans lequel ils exercent. Les médecins acquéreurs ont en moyenne 40 ans (1), âge en dessous duquel se situent 60 % d’entre eux. 71 % seraient des hommes. Car, pour un jeune praticien, racheter une part du cabinet d’un généraliste ayant une grosse activité représente la garantie de démarrer rapidement la sienne avec une patientèle importante.

Ainsi, s’il n’est plus question de racheter un carnet d’adresses à proprement parler, les locaux et le matériel se vendent encore, à condition d’être en bon état et que les murs respectent les nouvelles normes d’accessibilité. En s’installant en juillet 2016, le Dr Drubay les a rachetés à un médecin, le soulageant des charges afférentes au cabinet. Vendre ses parts, ses murs ou son matériel peut rapidement devenir vital pour le futur retraité, notamment dans un cabinet de groupe. Il est vivement conseillé d’anticiper cette transaction. Car patients et murs représentent un fil à la patte tant pour le futur retraité qui va continuer à payer les charges liées aux locaux jusqu’à la vente, que pour les médecins associés qui doivent en assumer les patients.

« Un cabinet bien organisé avec un exercice regroupé, parfaitement informatisé et disposant d’une secrétaire n’aura pas de difficulté à trouver un repreneur, fait remarquer Yannick Schmidt. Il ne faut plus raisonner en chiffre d’affaires, mais en qualité d’exercice. » Et apprendre à valoriser cette caractéristique du cabinet. Car, a contrario de la patientèle, la qualité d’exercice se revend bien. Désormais, le patrimoine d’un généraliste s’estime sur la valeur des murs, du matériel et d’une organisation efficace, non plus uniquement sur sa patientèle.

Comment vendre ?

« Face à ce constat, deux réponses sont possibles, explique Luc Fialletout. Tout d’abord, certains praticiens privilégient désormais une transmission progressive, à travers des associations leur permettant de concrétiser des potentiels de développement et de valoriser leur cabinet en amont de leur départ en retraite. Les SEL (4) facilitent de telles opérations-transmissions progressives, tant au bénéfice de jeunes associés qui ne subissent pas les mêmes inconvénients que des praticiens approchant de la retraite. Par ailleurs, le concept d’entreprise libérale se développe en médecine, avec la création de maisons de santé pluridisciplinaires et de regroupements de praticiens. Les individus s’effacent ainsi au profit d’organisations à même de dégager de la valeur » et dont les parts seront plus facilement vendables.
 

A contrario de la patientèle, la qualité d’exercice se revend bien.

Participation aux charges, première étape dans l’installation

« La collaboration libérale est une option intéressante pour les deux parties », confirme Yannick Schmidt, qui précise que ce statut est très utilisé chez les avocats et les experts-comptables et se répand en médecine. « En versant une redevance mensuelle au médecin avec lequel il collabore et dont il partage les locaux, le jeune généraliste s’acquitte de la participation aux frais du cabinet. Celle-ci peut également prendre la forme d’un pourcentage de ses honoraires que le praticien reverse au médecin propriétaire du cabinet. » Ce forfait à la consultation, estimé à 20/30 % de sa valeur, n’est intéressant que dans le cas d’une faible activité du médecin collaborateur. Dans le cas inverse, ce dernier se verrait contraint de reverser des sommes trop importantes au détenteur du cabinet. Mieux vaut alors s’acquitter simplement d’un forfait mensuel correspondant aux frais réels du cabinet.

Pourcentage ou forfait, la participation au financement des charges permet à celui qui s’installe de développer sa clientèle et de récupérer, à terme, une partie de celle du futur retraité. « C’est une première étape dans l’installation », explique le vice-président de ReAGJIR. Elle permet au médecin sortant non pas de s’enrichir, mais de réduire ses charges et de partir l’esprit tranquille vis-à-vis de ses patients, qui conservent un médecin traitant.

(1) Prix de cession des 100 dernières transactions de cabinets médicaux étudiées par Interfimo, Édition de janvier 2016, disponible sur www.interfimo.fr
(2) Regroupement autonome des généralistes
jeunes installés et remplaçants
(3) Association rhônalpine pour l’entraide entre généralistes
(4) Société d’exercice libéral

 

Dossier réalisé par Vanessa Avrillon